Contrairement
à ce que j’ai pu lire çà et là, Daïnah
la Métisse
n'est pas un moyen métrage, mais un film insolemment mutilé à sa sortie par ses
producteurs. Un véritable massacre qui explique un peu
mieux pourquoi le film apparaît bancal. Il manque des scènes. Et
pas des petits bouts de scènes. Le critique et historien, Philippe
Roger,
émet l'hypothèse que tout le début a été entièrement coupé,
soit grosso modo, une quarantaine de minutes passées à la trappe.
C'est Léon Mathot qui a eu la charge d'opérer les coupes. Finalement,
il ne restera que 1500 mètres sur les 2200 mètres initiaux. Et pour
cette raison, Jean
Grémillon
refusa de le signer. Il n'est d'ailleurs pas crédité au générique.
Malheureusement,
la version originelle du film ne pourra jamais être
reconstituée, la pellicule coupée ayant été définitivement
détruite.
Le
film s'inscrit dans une époque charnière du cinéma. Nous sommes en
1931, c'est-à-dire, au début du film parlant, et ce que voulaient
surtout les producteurs, c'était un film léger, une sorte de
comédie chantante, une façon pour eux d'exploiter le filon
commercial du film parlant. Mais le traitement sonore, très avant-gardiste, qu'en a fait Jean Grémillon a dû les laisser
perplexes… Car à une période où les cinéastes s'accordent pour
donner la prééminence à la parole, Grémillon, lui, la
refuse, en estimant que les bruits, les sons, les chants, la matière
sonore dans son acception la plus large, ont plus d’importance que
le parlé en lui-même ! Cette vision audacieuse et personnelle du cinéma a pour
but ultime de faire émerger la magie du son. Elle a été possible
parce que Grémillon a été toute sa vie, musicien dans l'âme.
Élève de Vincent d'Indy, il suit une formation musicale à
la Schola Cantorum. C'est d'ailleurs en tant que violoniste
qu'il fait ses débuts artistiques, au Max-Linder, l'une des
salles de cinéma les plus prestigieuses. Il jouait dans une petite
formation orchestrale qui accompagnait les films muets.
Composant
parfois lui-même ses musiques de films, Grémillon considère
justement le septième Art dans une optique intrinsèquement,
essentiellement, musicale. L'ensemble de son œuvre est marqué par
sa sensibilité et son expérience de musicien. Mais son approche
esthétique, profondément personnelle et originale, reste souvent
incomprise par ses pairs. Traditionnellement, la musique sert, le plus
souvent, à accompagner les images, à magnifier une scène, ou à
pallier son manque d’émotion. Chez Grémillon, ce sont les
images, au contraire, qui doivent suivre les modulations du rythme
musical, et servent d’illustrations aux thèmes musicaux.
Comme
l'écrit Pierre Billard dans la biographie qu’il consacre à
Jean Grémillon : (1)
«Son
rêve informel,[à Grémillon] c'est que l'image elle-même
devienne musique. Tous ses films personnels porteront la trace de
cette “composition musicale».
Adapter
l'image à la musique, plutôt que la musique à l’image, voilà
formulées, les prémisses d’une philosophie, d'un esthétisme,
auquel Jean Grémillon restera attaché toute sa vie.
Daïnah
la métisse offre une impressionnante palette sonore. Le film
s'ouvre et se termine sur le même air lyrique, alors que le bruit et
le cliquetis des machines rythment la croisière par vagues
successives. Mais c'est une atmosphère très jazz, (jazz des années
30 évidemment) qui baigne et imprègne constamment le film.
La
mise en scène est austère, mais il y a des fulgurances formelles
qui révèlent une conception très géométrique de l'espace, avec
une architecture quadrillée, des lignes qui dessinent d'étranges
arabesques, et des plans verticaux qui dénotent un sens aigu de la
profondeur et de la verticalité.
Une
autre qualité de ce film maudit, et pas des moindres : la qualité
des interprètes.
Charles
Vanel tient magistralement le haut du pavé (la scène de
l'interrogatoire est sublime). Et Daïnah la Métisse est
littéralement portée par une Laurence Clavius lumineuse et
sensuelle, qui tient ici son premier et unique rôle au cinéma. Il y
a cette extraordinaire scène de bal masqué, avec cette danse qui
reste, à mon sens, le moment le plus fort du film. Une danse en
guise d'orgasme, comme une offrande dionysiaque à la nature, où
Daïnah, sur des riffs de jazz endiablés, s'offre aux
regards, aux éléments, à la vie.
Habib
Benglia impose un style d'une élégance sobre. Si l'acteur a
bien eu, à son actif, une quarantaine de films, on ne lui a donné
en revanche que des rôles secondaires (excepté Daïnah) et
le fait qu'il n'y fasse que des apparitions furtives, n'enlève rien
à l'exceptionnelle longévité de sa carrière. Ses rôles sont
largement inspirés d'un cinéma exotique dans lequel tous les
poncifs de la mythologie et de la pensée colonialistes ont
manifestement trouvé un point d'ancrage.
En
1930, par exemple, peu avant le tournage de Daïnah la métisse,
il joue dans la Femme et le rossignol, d’André Hugon.
Il y tient le rôle d’un chef de tribu. Tourné en Côte-d'Ivoire,
ce film est l'exemple type des films coloniaux tournés en Afrique,
destinés à satisfaire la curiosité du public européen, avide
d'exotisme et de dépaysement.
Originaire
du Soudan, et né à Oran, Habib Benglia arrive en France
juste avant la Première Guerre mondiale. Autodidacte chevronné, il
réussit à parfaire sa formation de comédien dans les arts du
music-hall et le théâtre de boulevard. Il fut tour à tour amuseur,
danseur, auteur, et s'est bâti sur les planches une véritable
carrière de tragédien. Surnommé aussi le “tragédien noir”,
marque reconnaissable de son indéniable réussite sur la scène
théâtrale, il semble bien avoir été le premier acteur noir en
France, à s'imposer dans des rôles classiques au théâtre, le
premier, tout du moins, à accéder à la célébrité, dans l'entre-deux-guerres.
Dans
une France colonialiste profondément engoncée dans ses préjugés
raciaux, il faut saluer l'audace et le courage de Jean Grémillon
d'avoir porté Habib Benglia et Laurence Clavius sur
les devants de la scène, et de leur avoir accordé les premiers
rôles du film. Mettre un noir et une métisse en tête d'affiche,
voilà qui ne manquait pas de piquant en 1931…. D'autant plus
étonnant, que le film prend le revers de l’imagerie coloniale, et
que, fait rarissime, le noir tient, pour une fois, le beau rôle.
Habib Benglia, qu'on voit souvent plongé en pleine lecture, est
un intellectuel raffiné, un écrivain épris d'un calme
étonnant, et forme avec sa femme, Daïnah, un couple exotique
de bourgeois, sur lequel ne manqueront pas de se poser l'attention et
la curiosité des passagers.
Charles
Vanel, un mécanicien rustre, confiné dans la salle des
machines, cède facilement à la sauvagerie de ses pulsions. Mais les
nuances qu'il apporte à son personnage le rendent presque
attachant.
Au
final, si le film peut dérouter par sa structure et ses ellipses
redondantes, il constitue néanmoins un parfait échantillon des
ambitions artistiques que Jean Grémillon a très tôt placées
dans le cinéma, et réussi à dessiner les contours d'une
singularité qui ne fera que s'affermir par la suite.
Cette
édition vaut aussi pour la qualité exceptionnelle de ses bonus : en
premier lieu, vous trouverez un documentaire fascinant, Jean
Grémillon et le réalisme magique. Philippe Roger, Geneviève Sellier, Giusy Pisano et Yann Calvet vont, chacun à leur manière, parler de ce cinéaste passionnant,
malheureusement resté à la marge du cinéma français. Si vous ne
connaissez pas Jean Grémillon, c'est une excellente entrée en
matière. Il faut voir comment Philippe Roger réussit, à partir d'une simple affiche de film, (celle de Daïnah la métisse), à dévoiler l'univers esthétique et philosophique de Jean Grémillon, j'en
ai eu le souffle coupé !
Vous
retrouverez Philippe Roger dans le second bonus. Toujours aussi pertinents, ses précieux commentaires apportent à la compréhension du film un éclairage
indispensable.
Bonus
Blu-ray :
-
Jean Grémillon et le réalisme magique (HD-56mn-MKV)
-
Séquences commentées (HD-19mn-MKV)
-
Intermède musical ( HD-2mn-MKV)
Bonus
personnels :
-
Premier plan (revue mars 1960) : Grémillon par Pierre Kast. (PDF-25p)
-
Anthologie du cinéma : Grémillon par Pierre Billard. J'ai pour
Pierre Billard une grande admiration, et la petite biographie qu'il a
écrite sur Jean Grémillon, donne à travers une brillante analyse
de ses chefs-d'œuvre, la mesure de son talent. (PDF-22p)
-
Les Cahiers du Cinéma : injustement passée sous silence par
les Cahiers du Cinéma pendant des décennies, l'œuvre de Jean
Grémillon est enfin reconnue à sa juste valeur, et passée au
crible dans une série d'articles parus en octobre 2013. Ils jettent
une lumière éclatante sur l'univers poétique et musical du
cinéaste, mais n'expliquent pas comment celui qui avait toutes les
cartes en main, pour devenir le chef de file du Cinéma français
d'après-guerre, (après avoir réalisé coup sur coup trois
chefs-d'œuvre entre 1939 et 1944) a été frappé du sceau de la
malédiction, en raison d'une série de projets malheureusement
avortés, et termina sa vie dans l'oubli. Un destin singulier pour un
cinéaste maudit.
Pierre Kast, qui fut l'assistant de Jean Grémillon,
a tenté de donner une explication à cette malédiction, et au fait,
assez déroutant, que ses films n'avaient aucune
emprise sur leur époque. Pour expliquer ces échecs et sa mise à
l'écart du milieu cinématographique, Pierre Kast parle d'inadaptation. Inadaptation de Grémillon au monde de la
production et à ses exigences financières. Comme si, finalement,
ces contraintes restaient à ses yeux incompréhensibles et
incompatibles avec l'exercice de son Art. (PDF - 27p)
-
Extrait du DVD,
Remorques
:
Grémillon, le méconnu : cette coproduction de France 3
Normandie, donne un aperçu succinct de la carrière
cinématographique de Jean Grémillon, mais les interventions plus
que savoureuses de Madeleine Renaud, Micheline Presle, Michel
Bouquet, et d'Arlette Thomas, confèrent un charme indéniable à ce
documentaire du terroir. Une petite erreur s'y est toutefois glissée,
car ce n'est pas en tant que pianiste, mais bel et bien en tant que
violoniste, dans de petits orchestres, que se produisit Jean Grémillon
au Max-Linder, pour accompagner les films muets. (Remux
DVD-MKV-25mn)
-
Extrait du DVD, Lumière
d’été
:
Jean Grémillon, un cinéaste sous l’Occupation. Le doc réalisé
par Véronique Martin montre comment l'Occupation a été pour Grémillon la période la plus prolifique de sa carrière, une période faste et féconde qui aura vu la naissance de ses plus beaux
chefs-d'œuvre. Lumière d'été qui en fait partie, est ici analysée sous toutes ses coutures. Avec la participation de Philippe Roger, Jean-Pierre Mocky, Paul Vecchiali, Michel Bouquet et de quelques historiens du cinéma qui retracent la genèse du film en le replaçant dans son contexte historique. Une belle occasion de découvrir ce mal-aimé du cinéma français, cet artiste complet aux multiples talents, qui amènera le septième Art sur le terrain des passions humaines, du lyrisme et de la poésie. (Remux DVD-MKV-52mn)
-
Extrait de la revue, Hommes et Migrations, n°1132, mai 1990, Les
Africains Noirs en France. Regards blancs et colères noires, par
Philippe Dewitte. (PDF-13p)
-
Sur Habib Benglia, bien peu d’articles et de livres lui sont
consacrés. Mais le travail de Nathalie Coutelet mérite le détour.
Dans une série d'articles, elle s' est attelée à retracer sa
carrière théâtrale et cinématographique, en mettant à nu
l'arrière-fond historique et colonial, et en décryptant les
préjugés raciaux, enracinés dans les mœurs et la société.
L'Exposition coloniale de Vincennes en 1931 entérine et popularise
une vision ethnographique et raciste à l'égard des colonies et
de ses populations locales. Une vision nourrie par un discours
scientifique fondé sur la hiérarchie des races, où les noirs
passent pour avoir d'évidentes origines simiesques. La
France, fière de son idéologie impériale, y expose ses indigènes
sous la forme de zoos humains.
Le noir est généralement perçu
comme symbole de luxure, de lubricité, d’animalité. On se
complaît à se le représenter sous l’effigie du diable ou du
sorcier aux pouvoirs maléfiques. Cette représentation symbolique et tenace du corps noir, a longtemps persisté dans les consciences (jusque dans la première moitié du 20e siècle) et se retrouve
jusque dans les sphères intellectuelles de la société, puisqu'elle
s'immisce souvent, presque inconsciemment, dans le discours des critiques eux-mêmes, qui ont du mal à juger la prestation de l'acteur, sans tomber dans ces travers idéologiques. C'est
ce qu'explique merveilleusement Nathalie Coutelet, à travers l’étude qu'elle a réalisée sur la façon dont ont été perçues, par les critiques, les
prestations d'Habib Benglia. Car il a généralement été apprécié,
admiré pour sa plastique, la beauté sculpturale de sa musculation et ses qualités athlétiques de danseur. Il lui a fallu bien des efforts pour que, finalement, son
jeu de scène et ses qualités d'acteur soient enfin reconnus. Pouvoir affirmer sa propre personnalité, en échappant à ces représentations stéréotypées et primitives, n'aura pas été une mince affaire. Le mérite de Habib Benglia est d’avoir réussi à briser cette immense
chape de préjugés. Son prestige n'en est que plus grand.
-
Habib Benglia : quand le noir entre en scène, par Nathalie Coutelet.
(PDF-22p)
-
Habib Benglia, le nègrérotique du spectacle français, par Nathalie
Coutelet. (PDF - 13p)
-
Habib Benglia et le cinéma colonial. (PDF-15p)
-
Monsieur Vanel, un siècle de souvenirs, un an d’entretiens : avec
sa gouaille d'artiste et sa poésie, Charles Vanel se confie à
Jacqueline Cartier et nous raconte ses souvenirs, sur le tournage de Daïnah la métisse. Le tout agrémenté de quelques photos piochées dans le livre, et qui rappellent à l'évidence, qu'à tout
juste 20 ans, Charles Vanel était vraiment bel homme, et qu'il avait
la carrure, l'étoffe et le physique pour jouer les rôles de jeune
premier. (PDF-10p)
-
Le Chant du monde Les voix méditées-mélodiées du biographe selon
Jean Grémillon par Philippe Roger. (PDF-16p) Par moments un peu ardu
d'accès, le texte de Philippe Roger met en lumière le traitement
sonore des films de Grémillon et permet d'en mieux saisir la portée
philosophique et esthétique.
- C'est toujours un plaisir d'entendre la voix de Grémillon. Diffusé sur la chaîne Nationale le 29 janvier 1952, un document rare qui a pour thème
: Le film sur l'art trahit-il l'art ? Un débat ouvert autour de
Fernand Léger, André Chamson, André Bazin, Emmanuel Berl et Jean
Grémillon. Et comme il est dit, à la fin de l'émission, comme pour
se départir d'éventuelles poursuites judiciaires, "les opinions émises
à la Tribune de Paris engagent la seule responsabilité de ceux qui
les expriment." Autre temps, autres mœurs...(France Culture - 25mn-
FLAC)
-
Grémillon, le cinéaste maudit (RTS- MP3 -7mn)
-
Revue Pour Vous.1930. Ciné-reportage à bord du paquebot, pendant le tournage du film, non loin des côtes de l'île de Beauté. (PDF-1p)
-
Revue Pour Vous.1931. Habib Benglia donne une interview.(PDF-1p)
-
Revues Pour Vous.1932. (PDF-1p) Une critique du film pas tendre du
tout, signée Nino Frank, à la sortie du film, en 1932.
- Une critique élogieuse du film par Xavier Jamet. (jpg)
-
Cinema 60. Pierre Kast et Philippe Esnault rendent hommage à Jean
Grémillon, mort dans l’anonymat, le 25 novembre 1959, quelques
heures seulement après l'annonce de la mort, retentissante, de Gérard Philipe.
(PDF-11p)
-
Sauvage au cœur des zoos humains : dossier de presse sur les zoos
humains, issu du documentaire du même nom, réalisé par Pascal
Blanchard et Bruno Victor-Pujebet. (PDF-12p)
Kermite.
Bluray REMUX
VF+ St anglais et français (1920X1440 - MKV)
Liens :
Film : https://1fichier.com/?kci9ypwn16bgk670l8ga
Bonus : https://1fichier.com/?edn0rdqy2agedooxgmlz