mardi 18 juillet 2023

Baikonur - Veit Helmer, 2011












Synopsis :  aux abords de Baïkonour, dans les steppes du Kazakhstan,  des tribus locales se disputent les débris de fusées tombées du ciel pour survivre. Un opérateur radio, surnommé Gagarine, se charge de localiser leur trajectoire. Passionné d'astronautique, c'est aussi un rêveur impénitent...




Je suis convaincu que les meilleures et plus belles découvertes au cinéma se font de manière inattendue, quand votre esprit est libéré de tout préjugé, fait fi de toutes les critiques, lues ou entendues, qui pourraient vous orienter inconsciemment, ou influencer votre jugement, en vous donnant un avant-goût des grandes lignes d'une histoire, en mettant en valeur les teneurs forcément subjectives d'un ressenti, d'une analyse.

Ignorez jusqu'au pitch du scénario lui-même. Votre regard, vierge de toute attente, s'armera d'une capacité d'écoute accrue, mettant tous vos sens en alerte, portera vers tous les points de l'horizon, sans qu'il privilégie un espace plutôt qu'un autre. Dans ces conditions, vous serez amené à faire les plus surprenantes découvertes. Mais les préjugés et les attentes inconscientes ont la peau dure, nous guident à notre insu, pour nous amener là où elles veulent, et finissent par desservir l'impact que le film peut produire sur nous.

C'est du moins ce que je crois. Et c'est ce qui m'est malheureusement arrivé avec Ad Astra, un film dont justement j'attendais beaucoup, sans doute un peu trop. Car après en avoir lu les critiques, dithyrambiques, je m'attendais à un film, sinon éblouissant, tout au moins inspiré et novateur. Je l'ai trouvé insipide, ennuyeux, d'une prétention grossière, figé dans des considérations psychologiques assez lourdes. À mon sens,  Ad Astra n'est pas à la hauteur de ses ambitions et ne mérite pas les éloges qu'on lui a tressés. Mettre sur pied un esthétisme du plus bel effet  n'est pas un gage de réussite, et chez James Gray l'accent formel sonne creux en définitive.  


Tout le contraire de Baikonur, un film adorable et naïf, dont je suis tombé fou amoureux. Un film dont je ne savais rien, absolument rien. Seule la pochette du Blu-Ray avait éveillé ma curiosité.

Moi, qui suis un amoureux des fusées et fasciné par l'exploration spatiale, j'ai été conquis et subjugué par le charme, l'imagination et la poésie de ce film qui place l'astronautique en son cœur et fait de l'art de la romance son carburant naturel.


Samuel Fuller avait raison d'affirmer qu'il faut une bonne histoire pour faire un bon film. Et c'est une des qualités de Baikonur que de nous offrir justement une histoire digne d'un vrai conte, alliant simplicité, grâce et sensibilité. C'est un film lumineux et poétique, où transparaît un amour authentique pour les grands rêves cosmiques et les enjeux spatiaux. Voilà ce qui m'a réellement enthousiasmé : cette immersion enivrante, passionnelle, exubérante, dans l'insondable mystère inhérent au désir d'exploration et de conquête spatiale.


Omniprésente et palpable, elle est loin de servir de simple décor en carton-pâte à une merveilleuse, improbable et surréaliste histoire d'amour. Car Baikonur EST un hymne à la conquête spatiale, un véritable chant d'amour dédié aux rêves d'exploration que l'humanité porte en elle. À l'instar de ces images introductives et bien réelles du vol historique de Youri Gagarine, héros de tout un peuple et premier homme à voyager dans l'espace. Elles sont émouvantes, parce qu'elles renvoient aux premiers temps de la conquête spatiale et s'inscrivent inconsciemment dans une filiation quasi-religieuse. Toute la sacralité des missions spatiales apparaît dans ces images granuleuses et jaunies par la patine du temps, portées par le poids de leur symbole et de leur histoire. À l'aune du passé glorieux qu'il incarne, Gagarine pourrait être vu ainsi comme le messie à travers lequel la nouvelle et jeune génération, tournée vers les défis futurs, se reconnaît et s'identifie. Et ce n'est certainement pas un hasard si notre jeune héros est flanqué du surnom de Gagarine. 


Gagarine, opérateur radio, amoureux des fusées et de l'espace.



Ce jeune paysan kazakh, interprété par un Alexander Asochakov au naturel désarçonnant, est un passionné d'astronautique. Il s’est bricolé une petite radio dans sa yourte pour espionner les trajectoires des fusées Soyouz, afin de pouvoir en récupérer les débris dans l'espoir de les revendre. La venue de l'industrie astronautique a quelque peu bousculé les habitudes de cette paisible province du Kazakhstan. Mais la vie y est toujours aussi rude. Et les quelques morceaux de ferraille récoltés offrent une bien maigre pitance et assurent aux locaux juste de quoi survivre.




Au milieu de nulle part, antennes dressées vers le ciel, une yourte
dédiée à l'espionnage des fusées Soyouz.







Ce mélange étonnant d'archaïsme, de tradition et de modernité m'a particulièrement frappé et se présente sous le sceau d'un mariage heureux, aux accents pittoresques. Ainsi, la compétition entre tribus mongoles chevauchant les plaines du Kazakhstan en tracteur, à moto, side-car, ou à dos de chameau et de mule (!), pour se disputer les lambeaux de fusée tombés du ciel, offre un tableau insolite et saisissant de l'impitoyable et rudimentaire vie qu’elles mènent. Il y a du Kusturica dans ces peintures colorées des tribus kazakhes, de leur mode de vie, et de leur rapport au monde. Et la musique de Goran Bregovic en accentue encore un peu plus les similitudes, en apportant sa douceur et sa mélancolie typiquement slaves.




Bien sûr, j'entends ici et là quelques voix dissonantes se plaindre que Marie de Villepin, fille de l'ancien Premier ministre, peut, par moment, agacer avec ses airs hautains de Diva de l’espace, d'icône inaccessible. Je peux en convenir. De même, certaines invraisemblances semblent offusquer certains critiques, qui oublient un peu vite qu'une œuvre d'art, Dieu merci, ne se calque pas sur la réalité, mais s'en arrange, la transforme, l'idéalise dans des proportions parfois surprenantes. L'essentiel est qu'elles s'intègrent naturellement, parfaitement, dans le récit, sans y apparaître de façon abrupte, comme un cheveu sur la soupe. Et le fait est qu'elles n'altèrent en rien la ligne générale du film, l'atmosphère poétique qui fait basculer cette histoire d'amour vers la fable baroque.

Mais il faut tout de même une sacrée dose de folie et de culot pour vouloir empêcher le décollage d'une fusée Soyouz avec de la simple merde de chameau ! 


Voilà toute la magie de Baikonur, avec sa part de merveilleux, d'irrationalité, de poésie et d'humour. Baïkonour, cité phare de la conquête spatiale, haut lieu stratégique longtemps tenu secret, révèle une part de son intimité et se dévoile pudiquement sous nos yeux. C'est une cité fantomatique, émaillée de symboles, de monuments, entièrement dédiés à ce qui a fait son histoire, ponctuée de moments glorieux et d'accidents tragiques. Voilà peut-être, à bien y penser, l'une des plus belles qualités de ce film : avoir mis en scène et valorisé l'une des plus emblématiques et célèbres cités de l'espace, et lui rendre ainsi un hommage digne de l'épopée spatiale qu'elle incarne.





Bonus : 


À ceux que le film donnerait envie de mieux appréhender la conquête spatiale à travers son histoire, je conseille les ouvrages de Jacques Villain qui sont une encyclopédie vivante de l'exploration spatiale. Cette fabuleuse aventure humaine et scientifique est riche en témoignages et en anecdotes souvent méconnues. Une histoire ô combien vivante et instructive qui s'accompagne d'une réflexion toujours juste sur les enjeux de la conquête spatiale et sur le sens à donner aux futures missions. 

Baïkonour, la porte des étoiles  retrace justement  l'histoire de Baïkonour depuis sa construction en 1956, jusqu'au vol de la navette Bourane en 1988. Richement documenté et fourmillant d’anecdotes sur les dessous de la conquête spatiale soviétique, cet ouvrage nous éclaire sur ce qui a fait le prestige et les malheurs de Baïkonour. Avec, en point d'orgue, la plus désastreuse tragédie de toute l’exploration spatiale : la catastrophe de Nedelin, survenue le 24 octobre 1960, et au cours de laquelle l’explosion gigantesque d’un missile R-16 sur le pas de tir fera près de 165 morts.

C'est aussi l'occasion, pour Jacques Villain de revenir sur les raisons politiques, économiques et scientifiques qui ont amené  l’Union Soviétique à perdre finalement la course à la lune. (PDF - Extraits - 43 pages)




-Revue Aviation Magazine de l'espace, n°322 du 1er mai 1961.  (PDF- Extraits - 5p)  

L'exploit de Gagarine, ici salué, n'empêche pas le scepticisme et le flou autour des conditions dans lesquelles le retour du spationaute s'est effectué. Une culture du secret sciemment cultivée par les Soviétiques pour mieux tromper son monde.

Le public a dû attendre la déclassification des archives, en 1991, pour apprendre que Gagarine a été éjecté de sa capsule à 7000 mètres d'altitude et a atterri sur terre en parachute... Cette réalité fut soigneusement cachée par les Soviétiques, de peur que la Fédération Internationale Aéronautique ne valide pleinement l'exploit.

  




Concernant Youri Gagarine, je conseille l'indispensable biographie écrite par Yves Gauthier, à lire absolument. Gagarine ou le rêve russe de l'espace. Éditions Flammarion. 1998. 

Doublure de Gagarine lors du premier vol orbital, le spationaute Titov avait trouvé les mots justes pour mettre en évidence la parfaite symbiose entre le héros russe et son peuple : 

«Il y a quelque chose de symbolique dans le parcours et la biographie de Gagarine. C'est une parcelle de la biographie de notre pays. Un fils de paysan qui a enduré les jours terribles de l'occupation fasciste. Un apprenti d'une école industrielle. Un ouvrier. Un étudiant. Un pilote d'aéroclub. Un aviateur. Des milliers et des milliers de garçon de son âge sont passés par là. C'est le chemin de notre génération ...»  (Op. cit., page 129)



Lien : https://1fichier.com/?gcaufyhlnry98hvfmc0j

Film (Remux Blu-Ray, 1080i - 8,3 Go)

Langues  : Mélange de russe, français et d'anglais, le tout sous-titré dans la langue de Molière.


Kermite.