lundi 16 décembre 2019

A Fuller Life - VOSTFR





J'ai découvert Samuel Fuller avec The Naked Kiss, et à l'aune de son incroyable scène d'ouverture, je l'ai reçu comme un uppercut en pleine face. J'ai découvert un style et un univers d'une âpreté et d'une noirceur qui m'ont stupéfait. Car l'Amérique dépeinte par Samuel Fuller brille par son indéfectible pessimisme. Prostitution, flic véreux, pédophilie... Pas la moindre once de lumière, ni d'espoir dans cette Amérique engluée dans le ciment de l'hypocrisie. De quoi vous foutre le bourdon à coup sûr. Mais si le film est d'un pessimisme effrayant, l'homme qui l'a réalisé est porté par un optimisme à toute épreuve. J'ai découvert un homme combatif, qui ne baisse jamais les bras. Voilà ce que j'aime justement chez Samuel Fuller, c'est sa force de caractère, sa faculté de ne compter que sur sa propre volonté pour surmonter les obstacles et ses échecs. Il a tracé ses propres sillons dans le terreau du cinéma hollywoodien et s'est forgé une carrière à la force de son indépendance d'esprit, qu'il ne cessera jamais de cultiver toute sa vie. Une abnégation qui lui fait honneur, tant les producteurs aux États-Unis décident de tout, et surtout du Final Cut. Il s'est toujours battu pour imposer ses idées et faire respecter ses choix, en ne cédant pratiquement jamais à la facilité. C'est certainement une des raisons pour lesquelles il est tant apprécié, reconnu et aimé en France.


A Fuller life est assurément le documentaire le plus complet jamais réalisé sur Samuel Fuller. Et pour cause, c'est son unique fille, Samantha Fuller, qui en a eu l'idée. Pour commémorer le centenaire de son père qui aurait eu 100 ans en 2012, elle lui a concocté ce cadeau un peu spécial en forme d'hommage. 
A Fuller life résonne comme la déclaration d'amour d'une fille à son père. Au fil de ce voyage intime, et en se penchant sur son passé, elle a certainement appris à mieux connaître son père, car Samuel Fuller, faut-il le rappeler, a eu sa fille tardivement, à l'âge de 63 ans. Peut-être a-t-elle essayé, en manifestant le désir de mieux connaître l'homme qu'il était, de se réapproprier le temps qu'elle n'a pas pu passer avec lui. 
Ce qui est sûr, c'est que le documentaire est une façon de faire revivre sa mémoire, exprime le besoin de faire porter au public ses films, résolument modernes par leur style et leur audace thématique. Je crois qu'en marchant sur les traces de son père, elle définit inconsciemment les contours d'une quête spirituelle et personnelle, celle que justement décrit Samuel Fuller dans son livre, sous le terme de troisième visage, et qui englobe la part de mystère et d'inconnu qui est en chacun d'entre nous. 


Quoi qu'il en soit, à travers son dévouement, Samantha Fuller porte sans complexe et avec un certain panache, le flambeau de son héritage familial. Et la tâche s'avère  loin d'être aisée, car le cinéaste a laissé derrière lui une incroyable somme d'archives personnelles. Son bureau, véritable bric-à-brac indescriptible, fait office de caverne d'Ali Baba, où s'entasse pêle-mêle une montagne de notes, lettres,  scénarios, films personnels... Soit autant de documents qui mériteraient un jour d'être exploités et publiés. D'ailleurs, un projet de documentaire est déjà en cours, axé sur la guerre, et composé de ses films qu'il a lui-même tournés pendant la guerre, avec en toile de fond, des extraits des lettres qu'il a écrites sur le front et lus par les derniers vétérans...  Un projet alléchant qui ne manquera pas de piquer ma curiosité le moment venu.



Mais pour l’heure, c'est de sa monumentale autobiographie, Un troisième visage, livre d'une densité extrême, à l'écriture aussi mordante que ses films, que le documentaire s'inspire directement. Traduit de l'anglais par Hélène Zylberait, ce diamant brut de décoffrage est un joyau sublime et se présente comme son ultime chef-d'œuvre. Lisez ce livre absolument ! C'est tout le 20e siècle qui est passé en revue ! Samuel Fuller réussit le tour de force de l'appréhender dans une époustouflante introspection. Ce n'est pas seulement le regard lucide que porte Samuel Fuller sur son œuvre qui rend ce livre si fascinant, c’est sa vie proprement dite, d'une folle richesse, aventureuse, mouvementée, qui donne à penser que l’on tient entre les mains un témoignage exceptionnel, où la petite histoire s’imbrique naturellement dans la grande. Car Samuel Fuller participa activement aux événements majeurs qui auront marqué son siècle : de la Grande Dépression, pendant laquelle il fit ses premiers pas de journaliste, jusqu'à son engagement dans l'infanterie pendant la Seconde Guerre mondiale, et à l'impensable découverte du camp de concentration de Falkenau, en Tchécoslovaquie, il a été aux premières loges de l'Histoire, a vécu de plein fouet les tourments et les horreurs de ce siècle de folie.


Mais par-delà sa vie rocambolesque, Samuel Fuller a le don pour vous choper par les couilles, de vous happer dès la première ligne par son style, sa gouaille, et son inébranlable optimisme. Quel conteur extraordinaire il est ! Il n'a pas son pareil pour écrire, inventer et raconter de bonnes histoires !  Pour Fuller, l'art de faire du cinéma repose sur l'aptitude à savoir créer une bonne histoire. Tous ses films suivront cet adage. Mais sa vie, tout compte fait, est certainement la plus passionnante de toutes ses histoires. Je reste fasciné par cet homme qui a réussi à marquer le siècle de son empreinte. Son livre illustre à merveille ce que Nietzsche formule par cette exigence lapidaire dans Ainsi parlait Zarathoustra : écrire avec son sang.


L'originalité du documentaire tient au fait que des comédiens et réalisateurs l'ayant côtoyé durant sa vie, lisent des extraits de son autobiographie pour donner corps aux moments décisifs qui ont jalonné son existence. 
Répartis sur 12 chapitres, une quinzaine d'intervenants donnent de leur voix pour retracer le roman de sa vie et bon Dieu, quelle vie !! On peut dire que le cinéaste porte merveilleusement son nom, tellement sa vie fut remplie. 
Parmi les acteurs  et actrices qui se prêtent à cet exercice de lecture : Mark HAMILL, Robert CARRADINE, Kelly WARD, Jennifer BEALS, Bill DUKE, James TOBACK , Tim ROTH, Buck HENRY, James FRANCO et Constance TOWERS. Parmi les réalisateurs :  Perry LANG, Joe DANTE, Wim WENDERS, Monte HELLMAN et William FRIEDKIN.



L'hallucinante prestation de Bill Duke m'a estomaqué et foutu une sacrée dose de frissons. L'avoir choisi, lui, acteur noir, pour parler du Ku Klux Klan, est diablement osé. Le poids des mots prend dans sa bouche une tournure abyssale. Ku Klux Klan. À leur énoncé, ces mots chargés de haine et d'une funeste histoire, résonnent dans la bouche de Bill Duke comme une plainte ténébreuse. KKK, trois lettres maudites, qui figent l'expression de son visage dans la haine et la douleur. Et la torture que s'inflige son corps renvoie douloureusement à un passé pourtant si lointain, mais terriblement présent. Merci Monsieur Bill Duke pour ce moment d'une folle intensité.

Cet épisode est crucial et déterminant dans la vie de Samuel Fuller, alors simple pigiste en 1934. En assistant à une réunion du Ku Klux Klan à Little Rock, en Arkansas, afin d'en écrire un article pour l'American Weekly, il s'est en effet rendu compte qu'une photo, une image pouvait alors avoir plus de force émotionnelle, plus d'impact, que de simples mots. Les rites haineux de cet étrange cérémonial avaient profondément marqué le jeune Fuller, éduqué dans le levain des idéaux démocratiques. Autour d'une croix enflammée, une trentaine de membres en robe blanche vocifèrent un discours haineux et raciste, en faisant l'apologie du lynchage. Mais le spectacle d'une mère, la tête cachée sous une taie d'oreiller, robe retroussée donnant le sein à son enfant, avait de quoi laisser le jeune Fuller perplexe. Le contraste était saisissant entre la douceur maternelle d'une mère nourrissante et des paroles racistes, hargneuses, baignant dans une violence exacerbée. 

Samuel Fuller écrivit son article et l'envoya au rédacteur en chef de l'American Weekly, qui refusa de croire à la vision de cette femme allaitant son enfant, parce qu'elle sonnait faux. Ce qui fit comprendre à Fuller qu'une simple photographie aurait pu persuader son rédacteur en chef qu'il disait vrai. L'enseignement de cette histoire lui a ouvert les yeux sur la nécessité de ne pas s'en tenir aux seuls mots, mais de les associer aux images dans le but de mieux faire resurgir l'émotion brute. Cette démarche décida en grande partie de la suite de sa  carrière, et trouva  naturellement son expression la plus aboutie dans l'écriture scénaristique, à laquelle il se consacra après s'être essayé au journalisme, puis dans la réalisation de films où il donna toute la mesure de son talent.



Bien évidemment, figurent dans le documentaire des extraits de ses films, ainsi que des images inédites tournées en plein conflit mondial, grâce à sa caméra portative 16 mm, Bell & Howell, que sa mère lui avait envoyée.
La Seconde Guerre mondiale restera pour lui l'expérience la plus traumatisante de sa vie. Engagé volontaire dans l'infanterie, il participe à toutes les étapes du conflit. Débarquement en Afrique du Nord, puis en Sicile. Débarquement en Normandie sur la plage d'Omaha Beach. Bataille des Ardennes et poursuite des combats sur le sol allemand... Un périple qui s'achèvera en apothéose funèbre dans la découverte et la libération du camp de concentration de Falkenau, en Tchécoslovaquie. Soit autant de souvenirs douloureux qui le hanteront toute sa vie, et le poursuivront jusqu'à sa mort. Une expérience qui servira directement de matière première pour l'élaboration de ses films. Voilà pourquoi l'obsession de la guerre reste omniprésente dans son œuvre.



En définitive, Samuel Fuller aura consacré sa vie à ce qu'il savait faire de mieux : écrire de bonnes histoires, sincères et vraies. Dans les années 30, pendant la Grande Dépression, il avait choisi d'explorer l'Amérique comme un vagabond, en stop et en train, dans des wagons de marchandises, pour se confronter aux réalités du pays. Sa Royale ficelée sur son dos, dormant avec les clochards, il écrivit une série d'articles pour le journal Américain Weekly, avec en point d'orgue de cette odyssée journalistique et humaine, les émeutes de San Francisco en 1934 qui l'auront profondément marqué. Au terme de son périple, il a eu ces précieux conseils pour la nouvelle et jeune génération, des paroles qui résument parfaitement sa philosophie de la vie  :
«Jeunes gens, si vous voulez comprendre l'Amérique, bougez votre cul et allez l'explorer !  C'est un endroit immense et époustouflant !»



Bonus Bu-Ray  : 



- Dogface  : pilote pour une série réalisée par Samuel Fuller et mettant en scène une escouade américaine en Afrique du Nord en prise avec l'Afrikakorps. Objet de toutes les attentions, un simple berger allemand est le centre névralgique d'une opération stratégique et guerrière...(1959- 26mn -HD)

- Extraites de Samuel Fuller. Jusqu'à l'épuisement, de Frank Lafond,  ces quelques pages reviennent sur les conflits qui ont émaillé la sortie de J'ai vécu l'enfer de Corée, dans les milieux de l'Armée et de la presse américaines. (PDF - 8p)



 Bonus personnels :



Radio : 



-Samuel Fuller, la caméra au poing : autour de Samantha Fuller, Frank Lafond, et d’Hélène Zylberait,  Voilà une émission comme on aimerait en écouter plus souvent. On ne s'y ennuie pas une seconde, et chacun y va de sa petite touche pour évoquer l'univers de Samuel Fuller, marqué par la guerre, et en brosser un portrait  tout en nuances. Avec cerise sur le gâteau, des extraits d'interviews accordées par Samuel Fuller sur le tard.   (47mn - FLAC- RFi)



-Dans le film, émission présentée par Murielle Joudet : Samuel Fuller par Jean Narboni. (MP3 -81mn)



Vidéo : 



- Auteur de Samuel Fuller.Jusqu’à l’épuisement, Frank Lafond est ici en compagnie de Samantha Fuller, on le sent un poil impressionné, peut-être ému, par celle qui, toujours très à l'aise à l'évocation de son père, en défend le mieux la mémoire.  (18mn - WebHD - MP4) :






Revues et Livres : 



-Conversation avec Samantha Fuller, qui est interviewée par Alexis Hyaumet et Marc Moquin à propos de la sortie du documentaire, A Fuller life






-Samuel Fuller, histoires de la violence, par Marcos Uzal, paru dans Libération, le 5 janvier 2018 : 




-Cahiers du Cinéma n°93 (Mars 1959) : Sur les brisées de Marlowe par Luc Moullet (PDF-9p). Luc Moullet qui fera partie de ceux que Samuel Fuller rencontra après son arrivée en France, en 1965, au même titre que Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol et bien d'autres...




- Samuel Fuller est ici interviewé par Luc Moullet, Noël Burch et André S. Labarthe pour les Cahiers du cinéma en 1967. (Cahiers du Cinéma septembre 1967, n°193)
Il y parle de tout, de la guerre, du communisme, de sa vie, de cinéma… Il expose notamment ses méthodes de travail, sa préférence pour le plan-séquence laissant ses intervieweurs dubitatifs et incrédules… ! (5p-PDF)



-Cahiers du Cinéma n°169 (août 1965) : Samuel Fuller "Cinéaste de notre temps" par Claude-Jean- Philippe.  (PDF-1p)




-Présence du Cinéma : (n°19 - décembre 1963/janvier 1964)
Toutes les interviews de Samuel Fuller sont captivantes parce qu'elles fourmillent d'idées et montrent combien son esprit vif et affûté était perpétuellement sur le fil du rasoir. Elles sont pour moi une source intarissable d'étonnement. Elles permettent de mieux saisir la complexité du personnage puisqu'elles mettent au grand jour sa façon de travailler, ses relations avec les Studios, sa façon de choisir les acteurs jusque dans les moindres détails physiques. Plus généralement, c'est toute sa vision du cinéma qui se trouve expliquée, détaillée. Je crois qu'on ne trouvera pas mieux que lui pour parler de ses films, les exposer, en faire ressortir les grandes lignes, les enjeux, et les expliquer à la lumière de ses motivations personnelles. Il s'entretient ici  avec Jean-Louis Noames. (PDF-20p)
La suite de l’interview se trouve dans le numéro 20 de la revue. Malheureusement, elle est introuvable sur la Toile, je n'ai donc pas réussi à mettre la main dessus.



-Extrait de la revue Positif (n°244/245.Juillet/Août1981) ; un entretien savoureux avec Samuel Fuller qui évoque, entre autres, ses rapports pour le moins compliqués et tumultueux avec  l’État-major américain dans la réalisation de ses films de guerre….(PDF-10p)



-Samuel Fuller. Un homme à fable, par Jean Narboni. (PDF-111p)




- Image et Son.La revue du cinéma (n°352 - juillet 1980) : Marcel Martin et Jacques Valot brossent un portrait du cinéaste où transparaissent en filigrane les travers et partis pris de certains critiques d'époque, qui voyaient en Fuller un apôtre de la violence et du fascisme ! C'est vrai que beaucoup d'idioties ont été écrites sur son compte, et que certains n'ont vraiment rien compris à ses films et aux intentions de leur auteur….(PDF - 4p)




- Image et son.La revue du cinéma (n°360 - avril 1981) : 
Samuel Fuller, anarchiste, moraliste et américain. Une approche intelligente et percutante du cinéma de Samuel Fuller par Noël Simsolo.
Fuller au crible : une réjouissante table ronde, embellie par les interventions de Bertrand Tavernier, Noël Simsolo, Marcel Martin, Daniel Serceau et Jacques Zimmer.  (PDF-20p)




Kermite.

Remux Blu-Ray :




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Bonus Personnels :


https://1fichier.com/?jutz1qn03pse1ze2jovu