jeudi 2 mai 2024

Rochefort, Marielle, Noiret : Les copains d'abord - Pascal Forneri, 2020, HDTV








Ceux qui, comme moi, ont grandi avec les films illuminés par la classe et le panache de ce merveilleux trio d’acteurs que furent Rochefort, Marielle et Noiret, regarderont ce documentaire avec un pincement au cœur, et le sentiment que ces trois monstres du cinéma français ont laissé depuis leur disparition un sacré vide. Et c'est vrai qu'ils nous manquent. Leurs films ont heureusement gardé la trace de leur talent. Et un peu de leur vie, comme un goût d’éternité. Voilà pourquoi le documentaire de Pascal Forneri est à voir absolument, car il permet de cerner dans toutes ses nuances la sensibilité de ces trois figures si chères à notre cinéma. Il donne la parole aux réalisateurs qui ont parcouru un petit bout de chemin avec eux (Bertrand Tavernier, Patrice Leconte, Joël Seria…) ainsi qu’aux acteurs qui les ont côtoyés (Thierry Lhermitte, Guy Bedos …). 

Avec Marielle, Noiret et Rochefort, c’est tout un pan du cinéma populaire qui m'a ouvert ses portes. J'ai découvert  Philippe de Broca, Yves Robert, Claude Zidi, Édouard Molinaro, autant de réalisateurs français qui m’ont fait apprécier et aimer le cinéma populaire, qu'on aurait tort de mésestimer. Car qu'est-ce que le vrai cinéma populaire, sinon un cinéma d'auteur à portée de tous, comment l'écrit si bien Philippe Noiret dans son autobiographie ? ¹

Alexandre le Bienheureux, réalisé par Yves Robert, a justement été l’un des tout premiers films à m'enthousiasmer. Je m’étonne, encore aujourd’hui, de l'impression qu’il m’a laissée. Sa fraîcheur de ton, son immoralité et son ode à la flemmardise m'avaient littéralement stupéfié. Ce vibrant plaidoyer pour la paresse avait fait vibrer en moi une corde sensible et révélé mon irrésistible attirance pour ces originaux épris de liberté, ces doux dingues toujours enclins à suivre des chemins détournés et à  écouter leur âme.

En évoquant Alexandre le Bienheureux, un poème de Jacques Prévert me revient en mémoire, un poème qui fait délicieusement entrevoir toute la difficulté à passer ses journées à ne rien faire, à paresser, à glandouiller. Dans  Il faut passer le temps,² Prévert joue sur ce paradoxe : quoi qu'on en pense, le farniente, c'est du travail !    



« On croit que c'est facile 

de ne rien faire du tout 

au fond c'est difficile

c'est difficile comme tout

il faut passer le temps

c'est tout un travail

il faut passer le temps

c'est un travail de titan


Ah ! 

du matin au soir

je ne faisais rien

rien

ah ! quelle drôle de chose

du matin au soir

du soir au matin

je faisais la même chose

rien !

je ne faisais rien 


j'avais les moyens

ah ! quelle triste histoire

j'aurai pu tout avoir

oui

ce que j'aurai voulu

si je l'avais voulu

je l'aurai eu 

mais je n'avais envie de rien

rien »


Mes souvenirs se perdent avec Prévert, poète populaire que je chéris tant. Sa prose, d'une simplicité désarmante, dévoile une symphonie de mots dont j'apprécie la musique, le rythme et l'éclat. Je recopiais par amour ses poèmes pour mieux les apprécier, comme si j'avais eu moi-même l'honneur de les avoir créés. Prévert rejoint ce bienheureux Alexandre dans cet hommage au farniente.

Et aux trois Grands Ducs du cinéma français qui occupent dans mon cœur et dans le grand temple du septième art une place de premier choix, Pascal Forneri a incontestablement su  rendre un juste et bel hommage. 


Bonus :  


MarielleNoiret et Rochefort, un trio légendaire. Il faut aller aux sources pour apprécier leur talent. Il y a les films et les pièces de théâtre, bien sûr, mais aussi les interviews et leurs biographies qu'ils ont chacun écrites et qui aident à mieux les connaître. Philippe Noiret a choisi la forme qui lui convenait peut-être le mieux : une autobiographie classique. Mémoire cavalière,³ en hommage à la passion qu'il nourrit pour les chevaux, a l'avantage de présenter un récit chronologique de ses soixante-seize années d'existence et permet de mieux appréhender la longue carrière de l'artiste, au théâtre comme au cinéma. Il y parle notamment de son travail d'acteur, de l'importance cruciale des costumes et de la façon dont il s'approprie ses personnages. C'est sur ce terrain-là que l'ouvrage trouve toute sa force. Réputé pour sa pudeur, Philippe Noiret se met à nu pour exprimer l'essence même du travail de l'artiste.


Correspondant à son tempérament fantaisiste, Jean-Pierre Marielle a, lui, opté pour une forme plus foutraque, un abécédaire truffé d'anecdotes et de souvenirs. Le grand n'importe quoi ⁴ porte finalement bien son nom. C'est un clin d'œil à ses années de jeunesse, quand, du lycée au Conservatoire d'art dramatique, il entendait la voix des enseignants lui faire continuellement ce reproche : « Marielle, arrêtez de faire n'importe quoi ! » Dans sa grande sagesse, l'intéressé finissait par expliquer que « n'ayant jamais donné de bonnes raisons de leur obéir, j'ai continué. » !  On reconnaît bien là toute la gouaille insolente de Marielle !

C'est un livre d'une délicieuse légèreté, où se trouve élégamment condensé, exposée, le parcours de toute une vie. Marielle y clame son amour du jazz, évoque ses écrivains de cœur (Beckett, Camus, Céline) et insiste, avec sa sensibilité d'artiste, sur ce qui, pour lui, a compté le plus, à savoir ses rencontres. Car ce sont elles, finalement, qui ont déterminé la trajectoire que sa vie a prise. Il écrira à propos de son métier d'acteur, qui n'en est pas vraiment un : 

« Je n'ai pas le sentiment d'avoir fait une carrière, mais des rencontres. (...) On ne peut pas parler de carrière en art, les attentes et la logique n'y prennent aucune part ; cela ressemble davantage à la traversée de l'Atlantique en solitaire, tout peut arriver, y compris rien du tout. » 

À rebrousse-poil de certains, qui se plaisent à vouloir faire de l'acteur une figure intellectuelle de son temps, il fustige les artistes qui veulent donner des leçons de morale et ériger leurs opinions comme des dogmes intangibles. Si l'artiste doit se faire remarquer, ce n'est pas par une parole intempestive, mais plutôt par sa discrétion.  

« Un comédien n'est pas un intellectuel, il n'a pas à faire entendre son babillage à tort et à travers. Qu'il reste sans voix quand il ne joue pas me paraît une attitude raisonnable. Je tiens en horreur les gens certains de leurs opinions, qui ont un avis sur tout, avec leur règle dans la poche, de l'encre sur les mains et des craies plein les escarcelles. » ⁷ 


Quant à Jean Rochefort, il a écrit, dans un style qui lui est propre, un livre inclassable. Distant, drôle, raffiné et parfois bouleversant, on le retrouve comme il est au cinéma. Il y a des fulgurances sublimes, des dialogues immensément drôles et surréalistes, et des souvenirs de jeunesse qui resurgissent douloureusement, comme ces séances de torture, exécutées sur la place publique pendant l'Épuration, auxquelles il assista dans sa jeunesse. Ce genre de choses qui marque au fer rouge un gamin de 14 ans. « Je n'arrive pas à oublier. Les psys me disent :  « C'est normal », peut-être, mais la nuit ça réveille. » 


1. « Par les critiques, l'expression « cinéma populaire» est presque toujours employée  avec condescendance. Mais pour moi, le vrai cinéma populaire, c'était par exemple ce que Bertrand Tavernier recherchait : un cinéma d'auteur à portée de tous. C'était exactement le cinéma dont j'avais envie. »  Mémoire cavalière. Philippe Noiret. Robert Laffont. 2008, p. 218.

2. Poème extrait de Histoires. Jacques Prévert. Éditions Gallimard. 1963.

3. Mémoire cavalière. Philippe Noiret. Robert Laffont. 2008.

4. Le grand n'importe quoi. Jean-Pierre Marielle. Calmann-lévy. 2010.

5. Ibid., p. 137.

6. Ibid., p. 38. 

7. Ibid., p. 45. 

8. Ce genre de choses. Jean Rochefort. Stock. 2013, p. 87.



- Télérama : hommages 








































Le trio légendaire Noiret/Marielle/Rochefort vu par Noiret.










Radio : 


- Philippe Noiret (France Inter - FLAC - 55mn)

- Jean Rochefort, le magnifique  (France Culture - FLAC - 9 X 28 mn)
Jean Rochefort se confie en 2012 dans un long entretien où  transparaît toute la verve et l'humour qu'on lui connaît. Irrésistiblement attachant.

Livre : 

Ce genre de choses. Jean Rochefort. Stock. 2013 (epub).




Kermite.


Lien :

https://1fichier.com/?28twua772vqlk3sfyluy

(HDTV - 2,94 Go, TS - 93 mn.)

jeudi 22 février 2024

Free Solo - Jimmy Chin et Elizabeth Chai Vasarhelyi, 2018 HDTV





El Capitan, une falaise se dressant fièrement du haut de ses 915 mètres, dans le Yosemite, en Californie. Un bloc de granit monstrueux, paroi vertigineuse, qu’Alex Honnold a fait le pari fou d'escalader en free solo, c’est-à-dire seul, sans aucune attache, ni corde ni matériel. L’escalade dans sa plus lumineuse et simple expression. Le grimpeur John Long à qui la journaliste américaine Lara Logan avait demandé quel était, selon lui, le plus grand exploit d’Alex Honnold, avait répondu laconiquement : « Être toujours en vie. »  (1)  Il est vrai que parmi les grimpeurs pratiquant le free solo, beaucoup y ont perdu la vie. La liste s'allonge au fil des ans. Près de la moitié d'entre eux sont morts durant les quarante dernières années...

Free Solo est un projet insensé, qui a été longtemps mûri, préparé, planifié, car avant de gravir les parois vertigineuses d’El Capitan à main libre et sans attache, Alex Honnold a eu la sagesse de s'encorder pour mieux tester les prises et mesurer les risques. Sage précaution qui n’enlève rien à son exploit et permet de mieux saisir l’hallucinante prise de risque de cette entreprise hors norme, où la moindre erreur se paye cash. Comme l'écrit David Roberts dans le livre coécrit avec Alex Honnold, l'enjeu est d’une simplicité effrayante : « si tu tombes, tu meurs. » (2) Une maxime qui peut très vite prendre des allures d’épitaphe.

Le passage le plus technique de l'ascension se trouve à 600 mètres au-dessus du plancher des vaches, dans le Boulder Problem (problème du rocher). Un passage ô combien périlleux, pourvu d'une minuscule prise de 3 millimètres qui offre à Alex Honnold un choix cornélien : soit « sauter dans le vide et se rattraper à deux mains sur un morceau de corniche, ou alors tenter un coup de pied de karaté pour réaliser un grand écart effrayant, simplement retenu à la roche par la pression de son pouce. » La dramaturgie atteint ici son paroxysme dans ce coup de pied de karaté désespéré qui exige une tension musculaire inouïe entre les mains et les pieds.

Au-delà de l'exploit sportif, cette ascension prend pour Alex Honnold une dimension spirituelle. C’est une quête de la perfection, où chaque geste se doit d’être parfait. La difficulté est de discerner clairement ses limites. Il avoue dans une interview : « C’est utile d’évaluer ce dont on est capable et ce dont on n’est plus capable. La difficulté consiste à savoir où se situe la frontière. » (3)

Alex Honnold ne connaît pas la peur de mourir, celle qui tétanise et paralyse, comme s’il s’était construit une armure mentale pour mieux s’en protéger. Il entretient avec la mort une étrange et fascinante relation, comme un tête-à-tête perpétuel, et semble toujours prêt à chevaucher dangereusement une ligne de crête qui pourrait lui être fatale. Alex Honnold l’avoue lui-même : c’est en défiant la mort qu’il se sent le plus vivant.   

Réalisé par Jimmy Chin et Elizabeth Chai Vasarhelyi, le documentaire Free solo offre des images époustouflantes de l’ascension. Alex Honnold n'est plus qu’un petit point perdu au milieu d’un mur immense. Mais assez vite, l’ascension fait passer des sueurs froides aux spectateurs et laisse planer un effroyable sentiment d’angoisse pour l’équipe technique chargée de filmer l'événement. On peut tout imaginer et tout craindre, surtout le pire. Une crampe, un pied qui glisse, une rafale un peu trop brusque et l'aventure se transforme illico en tragédie. 

Ayant reçu l'Oscar du meilleur film documentaire en 2019, Free Solo nous fait découvrir, par-delà le prodige de l'escalade, un garçon simple, modeste et attachant, qui n’en est pas moins lucide sur ses exploits. Dans Solo intégral, il les relativise et refuse qu'on leur prête un caractère exceptionnel  : « Je suis sûr qu’un temps viendra où ce que j’ai fait sera considéré comme banal (...). Des ascensions comme mes solos intégraux de Moonlight Buttress ou du Half Dome seront relégués aux livres d’histoire : intéressants pour leur époque, mais plus du tout des trucs incroyables. » (4) 

 Une belle leçon d'humilité.


(1) Cité par David Roberts dans Solo intégral, d'Alex Honnold avec David Roberts. Éditions Paulsen. 2022, p. 218.

(2) Solo intégral, p. 14.

(3)  https://www.telerama.fr/television/free-solo-lexploit-dalex-honnold,-grimpeur-de-lextreme,n6175511.php

(4) Solo intégral, p. 230.


Bonus :


- Interview donnée par Alex Honnold à l'Équipe magazine, le 06 mai 2023. (PDF - 7 p.)

- Critique du documentaire extrait du journal Le Monde du 30 mars 2019. (jpg)

- Expédition Groenland avec Alex Honnold. L'ascension. (HDTV  - 50 mn - MKV.) 

Toujours plus haut. Alex Honnold s'attaque en 2023, en compagnie des alpinistes chevronnés Hazel Findlay et Mikey Schaefer, à l'ascension de l'Ingmikortilaq, en Arctique. Une paroi de 1200 mètres encore jamais gravie, plantée dans un décor irréel de glace et d'eau. L'expédition ne se résume pas à ce seul exploit sportif, mais s'inscrit dans un cadre scientifique visant à étudier les effets du changement climatique dans cette région si cruciale du globe.


Kermite.

Liens : 


Documentaire : https://1fichier.com/?l5iazub4cwzleemcrdsc

(HDTV - MKV - 2,7 Go)


Bonus : https://1fichier.com/?m8cm0ee9tfss848woxcs

(HDTV - MKV - 1,30 Go)

samedi 10 février 2024

Il était une fois Roland Garros - Adolphe Drhey, 1979 WebTV








Adolphe Drhey a le don de faire revivre des émotions perdues. Il était une fois Roland Garros me ramène justement à l'époque de Björn Borg, qui m'a fait découvrir et aimer le tennis. Arthur Ashe, Guillermo Vilas, Ilie Nastase, autant de noms légendaires du tennis, resurgissent du passé avec bonheur et me font replonger en enfance.

Le documentaire commence par l'émouvante apparition des Quatre Mousquetaires, fleurons du tennis français des années 1920/30. Lors du 50eme anniversaire de l’emblématique stade Roland-Garros, une petite cérémonie et un hommage chaleureux leur sont rendus, le jour de la finale. Henri Cochet, René Lacoste et Jean Borotra sont acclamés sous les trompettes de la Garde républicaine et les vivats du public. Seul le regretté Jacques Brugnon manque à l'appel, décédé peu de temps avant.

L’histoire se clôt en 1978 par le sacre de Björn Borg, à qui Henri Cochet, premier vainqueur en 1928, remet le trophée. Entre ces deux moments, c’est toute l’histoire de Roland-Garros qui prend corps. Adolphe Drhey en fait rejaillir les effluves, en extrait toutes les saveurs, pour mieux saisir l’âme de ce stade mythique.

Le cinéaste offre un somptueux documentaire à l’aune de son talent. Enrichie par un texte épuré, allant droit à l’essentiel, l'histoire de Roland-Garros prend forme peu à peu à travers les nombreuses images d’archives. Adolphe Drhey a la fibre artistique, et le regard qu’il pose sur le jeu et les confrontations, parfois épiques, saisit toutes les subtilités du combat et des forces en présence. Les à-côtés des matchs sont, eux aussi, bien restitués. La caméra se fait incisive et caressante. Elle cueille, tels des fruits mûrs, des instantanés de vie, reflets d’une époque révolue. On a ainsi la chance de voir Björn Borg déambuler paisiblement avec sa petite amie, dans les allées de Roland-Garros, au milieu d’une foule anonyme et indifférente. Vraiment une autre époque !


Capture d'écran réalisée à partir de mon ordinateur. Du 1080p, mais l'image est d'époque !

Kermite.



Bonus : 


- Les Internationaux de France : Roland Garros 1975, de François Reichenbach. (TS - 56 mn - 1,54 Go.)


Liens : 


Documentaire : (1,74 Go - MKV - 74 mn.)

https://1fichier.com/?xtgxny7qhphcaypq856r


Bonus : 

https://1fichier.com/?asn5jih269ylalgj7jnk

samedi 3 février 2024

Amarna, la cité mystérieuse d'Akhenaton - Nick Gillam Smith, 2020 HDTV







Mon admiration pour l'Égypte antique remonte au collège. C'était la seule période du programme d'Histoire qui me passionnait réellement. Je me foutais royalement de l'histoire de France, mais l'Égypte et ses pharaons m'avaient littéralement magnétisé. J'ai tout de suite été saisi par la beauté de ses monuments et de son architecture. Les temples et leurs statues colossales me fascinaient, autant que le mystère de leur réalisation. Comment des mains d'hommes avaient-elles pu construire des édifices aussi faramineux que les pyramides ? La civilisation égyptienne me livrait toute sa grandeur et toute sa magnificence à travers ses croyances, sa mythologie, ses hiéroglyphes insaisissables et son emblématique sagesse. Et parmi la pléiade de souverains qui ont régné sur l'Égypte, Akhenaton occupe pour moi une place de choix, parce qu'il a été injustement maudit, banni et oublié des hommes. 

Pourtant, curieusement, Akhenaton est en passe de devenir, aujourd’hui, le plus illustre et fascinant pharaon de l’Égypte antique. Une popularité due sans doute à la personnalité d’Akhenaton, qui était, comme l’écrit l’égyptologue Dimitri Laboury, un personnage atypique, singulier et insolite. (1) La découverte, en 1923, du buste de Néfertiti, par l'archéologue allemand Ludwig Borchardt a certainement concouru au regain d'intérêt que portent les égyptologues pour Akhenaton, mais aussi à sa popularité aux yeux du public. Car Akhenaton forme avec Néfertiti l'un des plus célèbres couples royaux.  


Celui qui était le fils d'Amenhotep III et s'appelait encore Amenhotep IV au début de son règne, a bousculé les croyances de l'ancienne Égypte en proclamant et en promouvant le culte d'Aton, symbolisé par le disque solaire. Dans l’avant-propos de sa monumentale biographie qu’il consacre au pharaon, l'égyptologue Cyril Aldred parle « [d’]un dieu nouveau, unique, mystérieux, dont les formes ne pouvaient être connues et n’avaient pas été façonnées par des mains humaines. » (2) Aton, le disque ou l’astre solaire, est désormais le nouveau dieu que le pharaon adore et vénère. Il en est à la fois le fils et l’incarnation vivante. Et en hommage à ce dieu lumineux, Amenhotep IV se fait nommer Akhenaton. La lumière de l’astre solaire, dont les rayons apportent le souffle de vie, s’impose comme la force motrice génératrice de l’ordre cosmique. « Nul autre culte solaire n’a vu les rayons de cet astre si clairement mis en valeur comme source de vie et d’action », écrit encore justement Cyril Aldred. (3) 



Akhenaton et Néfertiti faisant des offrandes au disque solaire. Les
petites mains qui viennent se greffer sur le bout de ses rayons
semblent accueillir majestueusement ce présent royal.



Aton, le dieu vivant, régit l'ordre du monde et assure l'existence de toutes les formes de vie. Déjà amorcée par son père, Amenhotep III, la remise en cause de la représentation polythéiste du monde a pris une dimension radicale sous Akhenaton qui, en bannissant les divinités du panthéon, a donné naissance au premier monothéisme de l'histoire humaine. Une seule génération a suffi pour qu'une nouvelle théocratie s'amorce et prenne son essor, malgré un clergé résolument attaché à ses anciennes divinités et tourné vers la tradition.

C’est donc une période aussi brève que fascinante qui est abordée dans ce documentaire, à travers le règne du pharaon hérétique Akhenaton. Amarna, la cité mystérieuse d'Akhenaton, de Nick Gillam Smith, montre comment, au milieu du XIVe siècle avant notre ère, ce pharaon a été l'instigateur d'une révolution spirituelle et politique qui a sapé les fondements religieux de la civilisation égyptienne. Une révolution qui a fait table rase du passé et renversé les anciennes divinités (Amon-Rê) pour instaurer le culte d'Aton, le dieu du Soleil. Akhenaton quitte Thèbes, où les fêtes d’Amon étaient célébrées, pour édifier, plus au nord, une nouvelle ville sainte, sur la rive orientale du Nil. (4) Un lieu sacré et vierge qui n'appartient à personne et qui servira de résidence royale. La géographie des lieux inspira au pharaon, dans une révélation mystique, toute la puissance et la sacralité du dieu Aton. La nouvelle cité a pour nom Akhet-Aton, qui signifie l'Horizon-de-l'Aton, c’est-à-dire le lieu de la manifestation divine dans l’ici-bas, dixit Dimitri Laboury. (5) Elle surgit du sable en quelques années seulement, et 16 stèles, sur lesquelles ont été gravés les décrets de fondation de la cité, en délimitent les frontières. Bâtie autour de la figure du pharaon Akhenaton et du dieu Aton, elle supplante Thèbes, l'ancienne capitale, et devient le centre névralgique et politique de l’empire égyptien. Moins une ville à proprement parler, qu'une terre sacrée, dont la vie est rythmée par des cérémonies festives et des rencontres diplomatiques.

L'époque amarnienne se distingue dans le même temps par une révolution architecturale. Les temples ne sont plus ces lieux secrets et fermés, mais sont construits à ciel ouvert, sans plafond, pour mieux capter la lumière du soleil et s'y baigner. Une innovation dans le culte, car comme l'écrit Dimitri Laboury, « le dieu prend place dans son temple, non plus à travers ses images, mais physiquement, par la diffusion de sa lumière, signe tangible de sa présence véritable. » (6) Plus de statues de culte incarnant symboliquement et par magie la nature du dieu. Les espaces sacrés sont désormais à ciel ouvert et les sanctuaires baignent dans la lumière du disque solaire. Le clergé destitué, Akhenaton devient l'unique grand prêtre à vénérer le dieu Aton, le seul autorisé à lui vouer un culte. Dans cette nouvelle théocratie, le souverain se divinise. On assiste à une divinisation solaire du pharaon devant lequel chaque Égyptien se prosterne en signe d'adoration. Comme l'écrit Marc Gabolde« la piété populaire s'exprime désormais par une dévotion inégalée envers le pharaon dont tous les faits et gestes sont sacralisés. » (7)

S'opère également une révolution dans l'art figuratif. Akhenaton, représenté avec ses yeux en amande, des courbes prononcées et un allongement des traits, apparaît encore plus atypique et fascinant. Des choix esthétiques qui révèlent à quel point les artistes égyptiens exprimaient, par des effets de style, le caractère unique et divin du pharaon. Il s'agissait moins d'en faire un portrait réaliste que d'en souligner la singularité par des effets de style. Comme l'écrit Dimitri Laboury à propos des représentations d'Akhenaton, « [l]a stylisation marquée du personnage souligne sa nature exceptionnelle, loin de celle du commun des mortels... » (8)


Akhenaton et Néfertiti. Portrait du couple royal dans un style 
caractérisé par un allongement et une parfaite courbure des traits.

De même, la distorsion du corps du pharaon, qui apparaît parfois avec un embonpoint et de larges hanches, a fait dire à certains que ces symptômes physiques révélaient les signes d'une maladie. Cependant, les artistes ont plus vraisemblablement voulu souligner le caractère androgyne du pharaon, car l'androgynie est, symboliquement et traditionnellement, source de fertilité dans l'iconographie égyptienne. (9)

Celle-ci a connu, à l'époque amarnienne, une petite révolution dans la façon dont les Égyptiens représentaient leur souverain. En effet, le pharaon ne se trouve plus représenté, dans la traditionnelle imagerie rituelle, au côté du dieu solaire personnifié, Rê-Horakhty. L'espace alloué à la figure divine tutélaire se libérant, Akhenaton devient désormais le centre de la représentation et se trouve ainsi mis en scène dans des évocations intimistes. Plusieurs scènes familières, infiniment touchantes, le montrent en famille, avec ses filles et son épouse, Néfertiti. Des scènes d'une tendresse, d'une chaleur humaine inhabituelle, parfois dramatiques, évoquent ainsi la vie du couple royal. 



Baignant dans la lumière d'Aton, Akhenaton et Néfertiti jouent affectueusement avec leurs trois filles.




Mené comme une enquête, le documentaire révèle peu à peu les mystères de cette ancienne cité dont il ne reste aujourd'hui pratiquement plus rien. La mort d’Akhenaton reste un mystère, mais la famille royale a été, semble-t-il, décimée par une épidémie de peste. La période dite de l’Atonisme n’a pas fait la prospérité et la flamboyance de l'ancienne Égypte. Le pouvoir du pharaon en a été largement affaibli. Le royaume du souverain perd de son prestige et de son influence, car le règne d’Akhenaton est marqué par des guerres perdues contre les Hittites pour la reconquête de la ville de Qadesh, route commerciale vitale pour l’approvisionnement du cuivre et du bronze. Sans doute, cette série de malheurs a-t-elle fait prendre conscience au peuple égyptien que le culte d’Aton ne lui faisait pas bénéficier de la protection tant désirée. Sans doute aussi, fut-il pour lui déconcertant de se plier à ce nouveau culte, et que certains Égyptiens s’y sont refusés, préférant honorer leurs dieux habituels. Après sa mort, Akhenaton fut délibérément et définitivement oublié, comme effacé de la mémoire collective. Son nom fut rayé des listes royales officielles. La cité d’Amarna fut entièrement démantelée, et suivant une tradition souvent éprouvée dans l’ancienne Égypte, les pierres (talatats) qui avaient servi à sa construction, ont été réutilisées par d'autres pharaons (Sethi 1er et Ramsès II notamment) pour la construction d'autres monuments. Mais toutes les inscriptions et références au dieu Aton seront supprimées, et la mémoire du souverain enfouie dans les oubliettes de l’Histoire. Et c’est à son fils, celui qui se nommait encore Toutânkhaton, fils d’Akhenaton, qu'incombe la tâche de tourner définitivement la page de l’Atonisme et de remettre sur pied le culte des divinités traditionnelles. 




Bonus:



Radio :



- L'épisode étonnant du règne d'Akhénaton, par Christiane Desroches-Noblecourt. (France Culture - 28 mn - FLAC.) Comme à son habitude, la célèbre égyptologue nous enchante par sa rigueur, sa culture et la passion qui l’anime. Un régal.


Les Odyssées du Louvre : À la découverte de la cité perdue d'Akhénaton. (France Inter - 24 mn - FLAC.)


Du Caire à Berlin : le buste de Néfertiti. (France Culture - FLAC - 59 mn.) Dans une conférence donnée au Collège de France, l'historienne de l'art, Bénédicte Savoy, dépassionne le débat autour du buste de Néfertiti, en mettant parfaitement en lumière les conditions juridiques, politiques et historiques qui ont permis au Neues Museum de Berlin d'en faire l'acquisition. Elle s'interroge notamment sur la question de son éventuelle restitution aux autorités égyptiennes, en mettant au jour les enjeux idéologiques et nationaux dont cette icône de la beauté est l'objet.

Une chose est sûre : le buste, sculpté par Thoutmôsis, n'en finit pas de susciter des crispations dans les relations culturelles et diplomatiques entre l'Allemagne et l'Égypte.

- Néfertiti, la beauté du Nil. (France Inter - FLAC - 27 mn.)


Revues et Livres  :


- Géo Histoire, n°68 : Akhenaton- Néfertiti, un duo de choc. (PDF - Extraits - 6p.)




- Beaux-Arts, n°295 du 1er janvier 2009 : Akhenaton & Néfertiti : Messages du dieu-Soleil. (PDF - Extraits - 6p.)

  




- L'Égypte pharaonique de Dimitri Laboury. Éditions Le Cavalier Bleu. 2001. (Extraits - PDF - 6p.)  Précis d'égyptologie qui tord le cou aux idées reçues souvent répandues sur l'Égypte pharaonique, sa culture, ses croyances et ses souverains.  






- Akhenaton roi d'Égypte, de Cyril Aldred. 1997. Éditions Du Seuil. (Extraits - PDF -15p.) Une référence parmi les biographies écrites sur Akhenaton. À rebours de certains auteurs, Cyril Aldred brosse un portrait plein d'humanité d'Akhenaton, à qui il prête un caractère volontiers bienveillant. Cet humanisme prend tout son sens à travers la volonté d'Akhenaton de se montrer dans des scènes intimes, avec son épouse, Néfertiti et leurs enfants. Des représentations de la vie ordinaire pour le moins originales dans l'art pictural égyptien, qui rendent Akhenaton éminemment sympathique et ont fait dire à Cyril Aldred qu'il était avant tout « le bon souverain qui aime l'humanité. »



 

- Akhenaton. Du mystère à la lumière de Marc Gabolde. Éditions Découvertes Gallimard. 2005. (Extraits - PDF - 24p.) 





- Akhénaton de Dimitri Laboury. 2010. Éditions Pygmalion.  (Extraits - PDF - 4p.)  



Vidéos :

- L'Égypte des dieux, de Stephan Koester et Daniel Gerlach, 2010. (92 mn - TS - 3,04 Go.) L'Égypte et ses dieux à travers le règne d'Akhenaton et de Ramsès II.  

- Néfertiti - le Buste de la discorde, de Grit Lederer, 2022.(52 mn - MKV - 5,1 Go.) Des voix s'élèvent en Égypte, mais aussi en Allemagne, pour persuader l'opinion publique de la nécessité de  restituer définitivement le célèbre buste aux autorités égyptiennes. Mais les conservateurs du Neues Museum de Berlin, où siège depuis 1924 la figure historique de Néfertiti, sont loin d'être de leur avis...


Notes :

(1) Akhénaton de Dimitri Laboury. 2010. Éditions Pygmalion.  

Dimitri Laboury s'est donné pour ambition d'écrire une biographie du pharaon Akhenaton en évitant les hypothèses infondées et spéculatives, auxquelles l'historien peut inconsciemment succomber, pour donner plus de corps à son récit. C'est une difficulté majeure que de relater et de retracer la vie d'un personnage historique, dont il ne reste que des bribes de traces et de témoignages. Vouloir combler les trous est une tentation à laquelle Dimitri Laboury ne cède pas. Comme il l'écrit lui-même, il s'agit avant tout d'une biographie archéologique, dans laquelle il prend soin de ne pas émettre d'hypothèses sur ce que l'on ne sait pas d'Akhenaton. S'en tenir aux seuls faits archéologiques, telle est la ligne de conduite à laquelle l'égyptologue s'est tenu. L'histoire a justement montré qu'au cours du XXe siècle, Akhenaton a été, selon les époques, diversement décrit, à la fois  pacifiste, mystique, humaniste ou despote, suivant l'idéologie du moment... Cette réappropriation de la figure d'Akhenaton démontre que, dans l'Occident contemporain, l'écriture de l'Histoire est souvent et largement tributaire de l'histoire des grands événements et des idées. Dimitri Laboury s'est donc attelé à cerner Akhenaton dans son authenticité, en basant son récit uniquement sur les sources archéologiques. C'est une œuvre dense, fouillée, pointue, tout à l'honneur du plus célèbre et fascinant des pharaons.

(2) Akhenaton roi d'Égypte de Cyril Aldred. 1997. Éditions Du Seuil, p. 21.

(3) Ibid., p. 113.

(4) Départ choisi ou subi ? Selon l'égyptologue Marc Gabolde, c'est le clergé de Thèbes, qui défendait le culte d'Amon-Rê et jouissait d'un pouvoir autonome, capable de contrecarrer les ambitions du souverain, qui obligea finalement Amenhotep IV à quitter la capitale religieuse, hermétique à ses idées religieuses novatrices. (Gabolde, Akhenaton, p. 43.)

(5) Pour Dimitri Laboury, l'Horizon-de-l'Aton est défini comme « le lieu d'apparition du dieu ici-bas,  à la fois sa place de la première fois (soit le lieu de la création) et le point de convergence entre le céleste et le terrestre (soit l'horizon dans la conception égyptienne), où la divinité peut se manifester dans le monde des humains. » (Laboury, Akhénaton, p. 239.)

L'égyptologue Marc Gabolde note, quant à lui, que, pour les Egyptiens, l'horizon n'est pas « la ligne d'horizon séparant le ciel de la terre (...), [mais] le point précis où le soleil se lève ou se couche. » (Akhenaton. Du mystère à la lumière. p. 42.)

(6) Laboury, Akhénaton, p. 168.

(7) Gabolde, Akhenaton, p. 51.

(8) Laboury, Akhénaton, p. 217.

(9) Comme l'écrit Cyril Aldred, « tout pharaon était un dieu grâce auquel vivaient les hommes ; à lui tout seul, il était le père et la mère de l'humanité, lui seul et sans rival. » Akhenaton, p. 299. 

À ceux qui aimeraient en apprendre davantage sur l'histoire de l'Égypte antique, je conseille vivement les ouvrages de Claude Traunecker, Jan Assmann, Marc Gabolde, Christiane Desroches-Noblecourt, et d'Erik Hornung, pour n'en citer que quelques-uns parmi la longue liste d'égyptologues qui ont consacré toute leur existence à l'étude de cette éblouissante civilisation.

Kermite.



Liens : 


Documentaire : https://1fichier.com/?3qrs6dkt1o93ragoa2yo

Bonus : https://1fichier.com/?mzm5e665f5exg1fxo1sz

samedi 23 septembre 2023

Les Garçons de Rollin. Un Lycée sous l'Occupation -







Et moi, qu'aurais-je fait ? C'est par cette interrogation que Claude Ventura clôt magistralement son documentaire, et cette question-là, je me la suis posée, je ne sais combien de fois. Elle revient comme un leitmotiv lancinant, toujours prête à saper mes certitudes les plus tenaces. Je me suis toujours demandé ce que j'aurais fait, moi, au cours de cette période sombre de notre histoire, et évidemment, je n'ai pas de réponse. C'est aussi la raison pour laquelle je reste fasciné par ces années de guerre que je n'ai pas vécues, parce qu'elles nous forcent à nous interroger sur le sens de nos engagements, à comprendre nos motivations, et à bien y penser, la trajectoire d'un destin tient parfois à si peu de choses...


Tenez, le destin de ces jeunes lycéens donne finalement une image assez exacte de ce que fut la France à cette époque, en 1940. Collabos, résistants, miliciens, pétainistes, tous ont choisi leur voie. Claude Ventura  fait le portrait d'une jeunesse emportée par le souffle de l'Histoire et s'y confrontant tragiquement. Une jeunesse combative et engagée politiquement. Une jeunesse si loin de nous et pourtant si proche. Claude Ventura réussit à distiller une émotion particulièrement vivace en exhumant de vieux souvenirs et en faisant parler lettres, journaux intimes et photos d'époque. Les photos de classe sont là pour nous faire revivre le trouble de cette époque, et nous raconter, derrière chaque visage, l'histoire d'un combat, d'un engagement, d'une vie. C'est émouvant et poignant, témoin, cette annotation cinglante, figurant dans un des bulletins scolaires d'un jeune lycéen : on peut y lire, juste à côté des notes et des moyennes correspondant aux différentes matières, dans une petite case réservée aux observations, cette remarque, laconique et glaçante, de l'un de ses professeurs : fusillé par les Allemands.


Ainsi va la vie à cette époque, et curieusement, le destin prend souvent une tournure tragique. Comme celui de Karl Schönhaar, fils d'un député allemand assassiné en 1934 par la Gestapo. Ce jeune Allemand, fuyant son pays, s'engage dans la Résistance française, et sera fusillé à 17 ans, le 17 avril 1942, au Mont Valérien, pour avoir tenté de poser une bombe à la salle Wagram à Paris, où se tenait une exposition antibolchévique.


Et puis, il y a cette amitié improbable, presque impensable, entre Pierre Vignolet, résistant chez les Partisans (FTP) et Jacques Frantz, enrôlé dans la Waffen SS pour combattre le Bolchevisme, et qui finit dans la Division Charlemagne, arpentant les ruines de Berlin en avril 1945, n'ayant plus d'autre choix que de défendre un bunker aux abois. 


Deux combats que tout oppose pour une amitié indéfectible. 

Non, décidément, rien n'était vraiment simple à cette époque. 



Bonus : 



- Les garçons de Rollin : un lycée sous l'Occupation. (Mémoires vives - Flac - 24mn) La Fondation pour la Mémoire de la Shoah.


- Claude Ventura, un cinéaste à la télévision. Portrait du cinéaste en 5 parties. Sa vie, son œuvre. (France Culture- Flac - 2h 23mn) 


- Claude Ventura. (France Culture - Flac - 17 mn)


- Les garçons de Rollin. Fiche technique.  (PDF - 7p)


- Préface de Vercors et préambule de Pierre Favre, extraits de Jacques Decour, l'oublié des Lettres françaises (1910-1942) de Pierre Favre. Éditions Léo Scheer. 2002.  (PDF- 7p)






- Postface de Pierre Favre ( les combats d'un germaniste éclairé), extrait de La Faune de la collaboration (Articles 1932-1942). Édition La Thébaïde. 2012. Textes réunis et présentés par Pierre Favre et Emmanuel Bluteau. (PDF - 3p)







-  Publié dans la Revue Italienne d'Études Françaises : Jacques Decour, le visage oublié de la Résistance, de Gracia Tamburini. ( PDF - 11 pages) 



- Le réalisateur et documentariste Claude Ventura. (France Inter- Flac - 52mn) C'est l'occasion de découvrir un peu mieux Claude Ventura, cinéaste et auteur de nombreux documentaires. Il nous parle ici de la façon dont il a conçu les Garçons de Rollin, un documentaire à l'origine duquel on trouve le livre écrit par le journaliste Bertrand Marot, la Guerre des cancres. Un lycée au cœur de la Résistance. (1) Cet ouvrage, écrit par un ancien surveillant du lycée, grâce à un immense travail d'archives, restitue l'histoire tumultueuse du Lycée Jean Rollin dans le Paris occupé. En tombant par hasard, dans les combles du lycée, sur une pile de vieux cartons rempli d'archives et de vieux cahiers,  Bertrand Matot fait surgir du passé l'enchevêtrement des destins, brisés par la guerre et l'Occupation, et montre comment le Lycée Jean Rollin fut le siège d'une émulation politique et intellectuelle, le carrefour sur lequel s'est cristallisée pendant l'Occupation, une électrique et bouillonnante activité politique.

C'est aussi, et surtout, un hommage aux héros oubliés de la Résistance, qui ont fait la renommée du Lycée Jean Rollin, véritable école de la Résistance. Le lycée fut rebaptisé Jacques Decour, à la Libération, en 1944, en hommage à l'écrivain et résistant, Daniel  Decourdemanche, fusillé par les Nazis le 30 mai 1942 au Mont Valérien.

Cet illustre professeur d'allemand, qui publiait sous le pseudo de Jacques Decour, en hommage à ami trop tôt disparu, (2) fut un éternel amoureux et un ardent défenseur de la culture allemande. Il n'aura de cesse d'en louer la richesse et la grandeur. Il est vrai qu'à cette époque, être patriote et aimer l'Allemagne, avaient de quoi en rebuter certains. À cet égard, Louis Aragon avait trouvé les mots justes en affirmant avec conviction, à propos de Jacques Decour, que "peu de Français connaissaient mieux que lui l'Allemagne ; aucun Français n'aimait mieux que lui la France." (3)

Envoyé pour six mois en Allemagne en 1931, en tant que "professeur d'échange", il met à profit son séjour pour écrire Philisterburg. Une sorte de journal intime, fait d'observations et de réflexions personnelles, qui l'amènent à constater comment une part de plus en plus importante de la société allemande est séduite par l'idéologie nazie. Il y dresse le tableau d'une jeunesse allemande entièrement sous le charme de Hitler et de son idéologie nationale-socialiste. En observateur de la vie, il affûte son regard, dénonce la peste du nationalisme et l'évolution d'une société de plus en plus séduite par l'obsession sécuritaire et l'avènement d'un chef à poigne. Avec lucidité, il dénonce la bête nazie tapie dans la personnalité de Hitler, et décortique, pour mieux les cerner, les mécanismes politiques qui ont conduit au succès de ses idées.  "Hitler ?(...) C'est le monstre, la brute, l'histrion génial. La Terreur. Quand voudra-t-on le comprendre ? Hitler est le fils du Traité de Versailles." (4)


Très tôt, Jacques Decour s'interroge et pose la question de l'engagement de l'écrivain : "un écrivain a-t-il le droit de rester indifférent aux problèmes de l'époque ? (5) À l'évidence non. 


"Je suis de ceux qui croient que les opinions engagent" écrit-il encore dans Philisterburg. (6) 

J. Decour, en Allemagne en 1931.
La question de l'engagement politique et intellectuel de    l'écrivain dessine le cœur de ses  exigences. 
Écrire ou vivre, tel est le  dilemme auquel le plus jeune agrégé de France se trouve  confronté. Mais très vite,  Jacques Decour fait son choix, et après avoir signé deux romans, Le Sage et le Caporal (1930) et les Pères (1936), ainsi que quelques nouvelles, il met prématurément un terme à ses ambitions littéraires, en prenant le parti de la vie, plutôt que celui de l'écriture. Enfant de la bourgeoisie, Jacques Decour cède à l'appel révolutionnaire en 1936 et devient militant communiste, juste après l'avènement du Front populaire. Dans la revue Europe, il signe un plaidoyer naïf, mais sincère, pour le communisme et ses valeurs. Il y affirme sa foi dans une société communiste, régie dans ses fondements par le progrès social, une société qui intègre et permet l'épanouissement et l'émancipation de l'individu. 

"L'homme nouveau ne doit pas agir de telle façon parce que c'est bien, ou bien parce que c'est bien vu, mais parce qu'en agissant de la sorte il marche vers la réalisation de lui-même, tout en travaillant pour les autres hommes, ses frères, ses camarades."  (7)


En novembre 1936, il intègre une cellule communiste dans la ville de Tours. Son statut d'intellectuel tranche singulièrement avec les ouvriers et les cheminots qu'il côtoie. Il écrit dans le journal La Voix du peuple de Touraine une série d'articles à la fois littéraire et politique, où se profile la nécessité d'une nouvelle société, fruit de tous ses espoirs. ll prend ses fonctions de professeur d'allemand au Lycée Rollin en 1937. 

Sans doute en 1936,  après la publication de 
son roman Les Pères.

En novembre 1938, il devient rédacteur en chef de Commune, revue à la fois militante et culturelle, dans laquelle Jacques Decour n'hésite pas à rendre hommage à la tradition humaniste allemande, ouvertement bafouée par les persécutions antisémites, remplacée par le mythe de la pureté de la race aryenne. Il fait l'éloge de l'humanisme allemand, fer de lance de la civilisation européenne, et pose cette question insoluble : comment imaginer cette civilisation sans l'Allemagne ? À la veille de la Seconde Guerre mondiale, dans le numéro de juin 1939 de Commune, Jacques Decour, en germaniste convaincu, fait l'éloge du poète allemand Heinrich Heine.

Heinrich Heine, dont le nom fut banni par les nazis parce qu'il était juif, écrivait de façon prémonitoire en 1820 :"Là où on brûle les livres, on finit par brûler des hommes." (8) 


Pendant la guerre, Jacques Decour entre en résistance par la publication de revues clandestines. L'Université libre, qu'il crée en novembre 1940 avec le physicien Jacques Solomon et le philosophe Georges Politzer, se veut le porte-parole du corps enseignant parisien qui refuse de se plier au diktat de l'Occupant et s'élève dans le même temps, contre les mesures vichyssoises antijuives. Elle prône une université libre et indépendante, dénonce l'asservissement du gouvernement de Vichy aux ordres de l'Occupant, et s'indigne contre la mise au pas de la culture française.


La Pensée Libre naît, elle, le 1er février 1941. Emmenée par le même trio, elle s'impose d'emblée comme un organe de combat contre l'idéologie vichyssoise et hitlérienne. Leurs auteurs font acte de patriotisme en célébrant la culture française et en dénonçant, en étrillant, les intellectuels coupables de servir les intérêts de l'Occupant et de chanter les louanges de la Révolution nationale. La faune de la collaboration et les écrivains en chemise brune, pour reprendre justement l'un des titres des articles écrits par Jacques Decour, y sont implacablement et ouvertement dénoncés. (9) Les mots deviennent ainsi des armes de combat, affûtés comme des lames tranchantes, et sont autant de flèches assassines décochées contre les partisans de la collaboration. 




Avec Jean Paulhan, son ami éditeur et confident, Jacques Decour fonde, à la fin de l'année 1941, les Lettres Françaises dans lesquelles figure le texte fondateur du Comité national des écrivains, le "Manifeste du Front national des écrivains". Manifeste politique qui vise, par le combat et la lutte, à sauver l'honneur des Lettres Françaises. Malheureusement, Jacques Decour ne verra jamais sortir le premier numéro de son vivant, car le 17 février 1942, il est arrêté par des agents des Brigades spéciales, chargées de débusquer et d'arrêter toute organisation opposée au régime de Vichy. Il reste près de 70 jours dans la Prison de la Santé, entre les mains de la Gestapo, avant de connaître son sort et d'être condamné à mort par le Tribunal militaire du général commandant du Grand Paris.


Mort pour la France et la liberté, Daniel Decourdemanche écrit le 30 mai 1942 une dernière lettre émouvante à ses parents, au matin de son exécution. Les lettres d'adieu des fusillés possèdent une force poignante qui me bouleverse. Les derniers instants d'une vie prennent corps dans un ultime cri du cœur. Pierre Favre a infiniment raison d'écrire que ces lettres "gardent la marque d'une signature indélébile, unique expression d'un corps souvent supplicié, d'une âme écorchée vif. Œuvres épistolaires, elles ont la brièveté et le dépouillement de la nouvelle. Terrible nouvelle d'ailleurs que celle qu'elles apportent. Mots communs pour exprimer les émotions les plus fortes, phrases simples pour affirmer les plus fermes résolutions, elles disent tout : l'essentiel comme le dérisoire, la vérité ou le secret. Et le dernier petit moment de vie." (10)


En février 1942, juste avant
son arrestation.

Quand je lis cette dernière lettre écrite par Jacques Decour à ses parents, je suis touché par sa modestie et son courage. Elle révèle les qualités d'un homme qui affronte son destin avec le sens du devoir accompli et la conviction de n'être pas mort pour rien. Cette lettre a des élans panthéistes vertigineux, magnifiés par cette phrase bouleversante, qui me laisse sans voix :

"je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l'arbre pour faire du terreau."(11)





Quelle sérénité face à la mort qui l'attend. 


"Je ne pense pas que ma mort soit une catastrophe ; songez qu'en ce moment des milliers de soldats de tous les pays meurent chaque jour, entraînés dans un grand vent qui m'emporte aussi. " (12)


Une mort anonyme comme il y en a eu tant d'autres dans cette guerre effroyable. Une banale exécution, tant il est vrai que Jacques Decour n'a été, comme l'a si bien écrit Pierre Favre, " qu'un mort parmi d'autres, exécuté un matin de mai dans une trop longue suite d'aubes sanglantes." (13) 



Kermite.












Notes : 

- (1) Bertrand Matot : La Guerre des cancres. Un lycée au cœur de la Résistance. Éditions Perrin. 2010. Un livre que je recommande chaudement et qui révèle au grand jour, comme l'écrit si bien Patrick Modiano dans sa préface, "l'atmosphère trouble du Paris de l'Occupation."
- (2) En hommage à Jacques Prévotière, mort très jeune et ami d'adolescence avec lequel Jacques Decour partagea une intense correspondance et une passion pour la littérature. 
- (3) Cité par Pierre Favre dans Jacques Decour, l'oublié des Lettres françaises (1910-1942) de Pierre Favre. Éditions Léo Scheer. 2002. P. 74.  Un livre d'une exubérante érudition, richement documenté, où Pierre Favre s'emploie à réhabiliter Jacques Decour, trop longtemps oublié, et à lui restituer la place qu'il mérite dans la grande constellation des Lettres Françaises
- (4) Philisterburg. Les Éditeurs Français Réunis.1974. Page 150.
- (5) Ibid., p. 144.
- (6) Ibid., p. 146.
- (7) La petite maison de campagne. Publié dans la revue Europe le 15 décembre 1936. 
- (8) Cité par Pierre Favre, op. cit., p. 147.
- (9) La Faune de la collaboration (Articles 1932-1942) de Jacques DecourÉdition La Thébaïde. 2012. Textes réunis et présentés par Pierre Favre et Emmanuel Bluteau. Page 131. On trouvera notamment les articles que Jacques Decour a écrit dans le journal La voix du peuple de Touraine, ainsi que dans les revues Europe, Commune, l'Université libre, la Pensée Libre et les Lettres Françaises. Y figurent aussi quelques textes sur son séjour en Allemagne en 1931, dont Philisterburg, mais pas dans son intégralitéLe tout assorti des précieuses annotations de Pierre Favre et Emmanuel Bluteau.
- (10) Pierre Favre, op. cit., p.251
- (11) Ibid., p. 321. 
- (12) Ibid.
- (13) Pierre Favre, op. cit., p. 247.





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