lundi 16 décembre 2019

A Fuller Life - VOSTFR





J'ai découvert Samuel Fuller avec The Naked Kiss, et à l'aune de son incroyable scène d'ouverture, je l'ai reçu comme un uppercut en pleine face. J'ai découvert un style et un univers d'une âpreté et d'une noirceur qui m'ont stupéfait. Car l'Amérique dépeinte par Samuel Fuller brille par son indéfectible pessimisme. Prostitution, flic véreux, pédophilie... Pas la moindre once de lumière, ni d'espoir dans cette Amérique engluée dans le ciment de l'hypocrisie. De quoi vous foutre le bourdon à coup sûr. Mais si le film est d'un pessimisme effrayant, l'homme qui l'a réalisé est porté par un optimisme à toute épreuve. J'ai découvert un homme combatif, qui ne baisse jamais les bras. Voilà ce que j'aime justement chez Samuel Fuller, c'est sa force de caractère, sa faculté de ne compter que sur sa propre volonté pour surmonter les obstacles et ses échecs. Il a tracé ses propres sillons dans le terreau du cinéma hollywoodien et s'est forgé une carrière à la force de son indépendance d'esprit, qu'il ne cessera jamais de cultiver toute sa vie. Une abnégation qui lui fait honneur, tant les producteurs aux États-Unis décident de tout, et surtout du Final Cut. Il s'est toujours battu pour imposer ses idées et faire respecter ses choix, en ne cédant pratiquement jamais à la facilité. C'est certainement une des raisons pour lesquelles il est tant apprécié, reconnu et aimé en France.


A Fuller life est assurément le documentaire le plus complet jamais réalisé sur Samuel Fuller. Et pour cause, c'est son unique fille, Samantha Fuller, qui en a eu l'idée. Pour commémorer le centenaire de son père qui aurait eu 100 ans en 2012, elle lui a concocté ce cadeau un peu spécial en forme d'hommage. 
A Fuller life résonne comme la déclaration d'amour d'une fille à son père. Au fil de ce voyage intime, et en se penchant sur son passé, elle a certainement appris à mieux connaître son père, car Samuel Fuller, faut-il le rappeler, a eu sa fille tardivement, à l'âge de 63 ans. Peut-être a-t-elle essayé, en manifestant le désir de mieux connaître l'homme qu'il était, de se réapproprier le temps qu'elle n'a pas pu passer avec lui. 
Ce qui est sûr, c'est que le documentaire est une façon de faire revivre sa mémoire, exprime le besoin de faire porter au public ses films, résolument modernes par leur style et leur audace thématique. Je crois qu'en marchant sur les traces de son père, elle définit inconsciemment les contours d'une quête spirituelle et personnelle, celle que justement décrit Samuel Fuller dans son livre, sous le terme de troisième visage, et qui englobe la part de mystère et d'inconnu qui est en chacun d'entre nous. 


Quoi qu'il en soit, à travers son dévouement, Samantha Fuller porte sans complexe et avec un certain panache, le flambeau de son héritage familial. Et la tâche s'avère  loin d'être aisée, car le cinéaste a laissé derrière lui une incroyable somme d'archives personnelles. Son bureau, véritable bric-à-brac indescriptible, fait office de caverne d'Ali Baba, où s'entasse pêle-mêle une montagne de notes, lettres,  scénarios, films personnels... Soit autant de documents qui mériteraient un jour d'être exploités et publiés. D'ailleurs, un projet de documentaire est déjà en cours, axé sur la guerre, et composé de ses films qu'il a lui-même tournés pendant la guerre, avec en toile de fond, des extraits des lettres qu'il a écrites sur le front et lus par les derniers vétérans...  Un projet alléchant qui ne manquera pas de piquer ma curiosité le moment venu.



Mais pour l’heure, c'est de sa monumentale autobiographie, Un troisième visage, livre d'une densité extrême, à l'écriture aussi mordante que ses films, que le documentaire s'inspire directement. Traduit de l'anglais par Hélène Zylberait, ce diamant brut de décoffrage est un joyau sublime et se présente comme son ultime chef-d'œuvre. Lisez ce livre absolument ! C'est tout le 20e siècle qui est passé en revue ! Samuel Fuller réussit le tour de force de l'appréhender dans une époustouflante introspection. Ce n'est pas seulement le regard lucide que porte Samuel Fuller sur son œuvre qui rend ce livre si fascinant, c’est sa vie proprement dite, d'une folle richesse, aventureuse, mouvementée, qui donne à penser que l’on tient entre les mains un témoignage exceptionnel, où la petite histoire s’imbrique naturellement dans la grande. Car Samuel Fuller participa activement aux événements majeurs qui auront marqué son siècle : de la Grande Dépression, pendant laquelle il fit ses premiers pas de journaliste, jusqu'à son engagement dans l'infanterie pendant la Seconde Guerre mondiale, et à l'impensable découverte du camp de concentration de Falkenau, en Tchécoslovaquie, il a été aux premières loges de l'Histoire, a vécu de plein fouet les tourments et les horreurs de ce siècle de folie.


Mais par-delà sa vie rocambolesque, Samuel Fuller a le don pour vous choper par les couilles, de vous happer dès la première ligne par son style, sa gouaille, et son inébranlable optimisme. Quel conteur extraordinaire il est ! Il n'a pas son pareil pour écrire, inventer et raconter de bonnes histoires !  Pour Fuller, l'art de faire du cinéma repose sur l'aptitude à savoir créer une bonne histoire. Tous ses films suivront cet adage. Mais sa vie, tout compte fait, est certainement la plus passionnante de toutes ses histoires. Je reste fasciné par cet homme qui a réussi à marquer le siècle de son empreinte. Son livre illustre à merveille ce que Nietzsche formule par cette exigence lapidaire dans Ainsi parlait Zarathoustra : écrire avec son sang.


L'originalité du documentaire tient au fait que des comédiens et réalisateurs l'ayant côtoyé durant sa vie, lisent des extraits de son autobiographie pour donner corps aux moments décisifs qui ont jalonné son existence. 
Répartis sur 12 chapitres, une quinzaine d'intervenants donnent de leur voix pour retracer le roman de sa vie et bon Dieu, quelle vie !! On peut dire que le cinéaste porte merveilleusement son nom, tellement sa vie fut remplie. 
Parmi les acteurs  et actrices qui se prêtent à cet exercice de lecture : Mark HAMILL, Robert CARRADINE, Kelly WARD, Jennifer BEALS, Bill DUKE, James TOBACK , Tim ROTH, Buck HENRY, James FRANCO et Constance TOWERS. Parmi les réalisateurs :  Perry LANG, Joe DANTE, Wim WENDERS, Monte HELLMAN et William FRIEDKIN.



L'hallucinante prestation de Bill Duke m'a estomaqué et foutu une sacrée dose de frissons. L'avoir choisi, lui, acteur noir, pour parler du Ku Klux Klan, est diablement osé. Le poids des mots prend dans sa bouche une tournure abyssale. Ku Klux Klan. À leur énoncé, ces mots chargés de haine et d'une funeste histoire, résonnent dans la bouche de Bill Duke comme une plainte ténébreuse. KKK, trois lettres maudites, qui figent l'expression de son visage dans la haine et la douleur. Et la torture que s'inflige son corps renvoie douloureusement à un passé pourtant si lointain, mais terriblement présent. Merci Monsieur Bill Duke pour ce moment d'une folle intensité.

Cet épisode est crucial et déterminant dans la vie de Samuel Fuller, alors simple pigiste en 1934. En assistant à une réunion du Ku Klux Klan à Little Rock, en Arkansas, afin d'en écrire un article pour l'American Weekly, il s'est en effet rendu compte qu'une photo, une image pouvait alors avoir plus de force émotionnelle, plus d'impact, que de simples mots. Les rites haineux de cet étrange cérémonial avaient profondément marqué le jeune Fuller, éduqué dans le levain des idéaux démocratiques. Autour d'une croix enflammée, une trentaine de membres en robe blanche vocifèrent un discours haineux et raciste, en faisant l'apologie du lynchage. Mais le spectacle d'une mère, la tête cachée sous une taie d'oreiller, robe retroussée donnant le sein à son enfant, avait de quoi laisser le jeune Fuller perplexe. Le contraste était saisissant entre la douceur maternelle d'une mère nourrissante et des paroles racistes, hargneuses, baignant dans une violence exacerbée. 

Samuel Fuller écrivit son article et l'envoya au rédacteur en chef de l'American Weekly, qui refusa de croire à la vision de cette femme allaitant son enfant, parce qu'elle sonnait faux. Ce qui fit comprendre à Fuller qu'une simple photographie aurait pu persuader son rédacteur en chef qu'il disait vrai. L'enseignement de cette histoire lui a ouvert les yeux sur la nécessité de ne pas s'en tenir aux seuls mots, mais de les associer aux images dans le but de mieux faire resurgir l'émotion brute. Cette démarche décida en grande partie de la suite de sa  carrière, et trouva  naturellement son expression la plus aboutie dans l'écriture scénaristique, à laquelle il se consacra après s'être essayé au journalisme, puis dans la réalisation de films où il donna toute la mesure de son talent.



Bien évidemment, figurent dans le documentaire des extraits de ses films, ainsi que des images inédites tournées en plein conflit mondial, grâce à sa caméra portative 16 mm, Bell & Howell, que sa mère lui avait envoyée.
La Seconde Guerre mondiale restera pour lui l'expérience la plus traumatisante de sa vie. Engagé volontaire dans l'infanterie, il participe à toutes les étapes du conflit. Débarquement en Afrique du Nord, puis en Sicile. Débarquement en Normandie sur la plage d'Omaha Beach. Bataille des Ardennes et poursuite des combats sur le sol allemand... Un périple qui s'achèvera en apothéose funèbre dans la découverte et la libération du camp de concentration de Falkenau, en Tchécoslovaquie. Soit autant de souvenirs douloureux qui le hanteront toute sa vie, et le poursuivront jusqu'à sa mort. Une expérience qui servira directement de matière première pour l'élaboration de ses films. Voilà pourquoi l'obsession de la guerre reste omniprésente dans son œuvre.



En définitive, Samuel Fuller aura consacré sa vie à ce qu'il savait faire de mieux : écrire de bonnes histoires, sincères et vraies. Dans les années 30, pendant la Grande Dépression, il avait choisi d'explorer l'Amérique comme un vagabond, en stop et en train, dans des wagons de marchandises, pour se confronter aux réalités du pays. Sa Royale ficelée sur son dos, dormant avec les clochards, il écrivit une série d'articles pour le journal Américain Weekly, avec en point d'orgue de cette odyssée journalistique et humaine, les émeutes de San Francisco en 1934 qui l'auront profondément marqué. Au terme de son périple, il a eu ces précieux conseils pour la nouvelle et jeune génération, des paroles qui résument parfaitement sa philosophie de la vie  :
«Jeunes gens, si vous voulez comprendre l'Amérique, bougez votre cul et allez l'explorer !  C'est un endroit immense et époustouflant !»



Bonus Bu-Ray  : 



- Dogface  : pilote pour une série réalisée par Samuel Fuller et mettant en scène une escouade américaine en Afrique du Nord en prise avec l'Afrikakorps. Objet de toutes les attentions, un simple berger allemand est le centre névralgique d'une opération stratégique et guerrière...(1959- 26mn -HD)

- Extraites de Samuel Fuller. Jusqu'à l'épuisement, de Frank Lafond,  ces quelques pages reviennent sur les conflits qui ont émaillé la sortie de J'ai vécu l'enfer de Corée, dans les milieux de l'Armée et de la presse américaines. (PDF - 8p)



 Bonus personnels :



Radio : 



-Samuel Fuller, la caméra au poing : autour de Samantha Fuller, Frank Lafond, et d’Hélène Zylberait,  Voilà une émission comme on aimerait en écouter plus souvent. On ne s'y ennuie pas une seconde, et chacun y va de sa petite touche pour évoquer l'univers de Samuel Fuller, marqué par la guerre, et en brosser un portrait  tout en nuances. Avec cerise sur le gâteau, des extraits d'interviews accordées par Samuel Fuller sur le tard.   (47mn - FLAC- RFi)



-Dans le film, émission présentée par Murielle Joudet : Samuel Fuller par Jean Narboni. (MP3 -81mn)



Vidéo : 



- Auteur de Samuel Fuller.Jusqu’à l’épuisement, Frank Lafond est ici en compagnie de Samantha Fuller, on le sent un poil impressionné, peut-être ému, par celle qui, toujours très à l'aise à l'évocation de son père, en défend le mieux la mémoire.  (18mn - WebHD - MP4) :






Revues et Livres : 



-Conversation avec Samantha Fuller, qui est interviewée par Alexis Hyaumet et Marc Moquin à propos de la sortie du documentaire, A Fuller life






-Samuel Fuller, histoires de la violence, par Marcos Uzal, paru dans Libération, le 5 janvier 2018 : 




-Cahiers du Cinéma n°93 (Mars 1959) : Sur les brisées de Marlowe par Luc Moullet (PDF-9p). Luc Moullet qui fera partie de ceux que Samuel Fuller rencontra après son arrivée en France, en 1965, au même titre que Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol et bien d'autres...




- Samuel Fuller est ici interviewé par Luc Moullet, Noël Burch et André S. Labarthe pour les Cahiers du cinéma en 1967. (Cahiers du Cinéma septembre 1967, n°193)
Il y parle de tout, de la guerre, du communisme, de sa vie, de cinéma… Il expose notamment ses méthodes de travail, sa préférence pour le plan-séquence laissant ses intervieweurs dubitatifs et incrédules… ! (5p-PDF)



-Cahiers du Cinéma n°169 (août 1965) : Samuel Fuller "Cinéaste de notre temps" par Claude-Jean- Philippe.  (PDF-1p)




-Présence du Cinéma : (n°19 - décembre 1963/janvier 1964)
Toutes les interviews de Samuel Fuller sont captivantes parce qu'elles fourmillent d'idées et montrent combien son esprit vif et affûté était perpétuellement sur le fil du rasoir. Elles sont pour moi une source intarissable d'étonnement. Elles permettent de mieux saisir la complexité du personnage puisqu'elles mettent au grand jour sa façon de travailler, ses relations avec les Studios, sa façon de choisir les acteurs jusque dans les moindres détails physiques. Plus généralement, c'est toute sa vision du cinéma qui se trouve expliquée, détaillée. Je crois qu'on ne trouvera pas mieux que lui pour parler de ses films, les exposer, en faire ressortir les grandes lignes, les enjeux, et les expliquer à la lumière de ses motivations personnelles. Il s'entretient ici  avec Jean-Louis Noames. (PDF-20p)
La suite de l’interview se trouve dans le numéro 20 de la revue. Malheureusement, elle est introuvable sur la Toile, je n'ai donc pas réussi à mettre la main dessus.



-Extrait de la revue Positif (n°244/245.Juillet/Août1981) ; un entretien savoureux avec Samuel Fuller qui évoque, entre autres, ses rapports pour le moins compliqués et tumultueux avec  l’État-major américain dans la réalisation de ses films de guerre….(PDF-10p)



-Samuel Fuller. Un homme à fable, par Jean Narboni. (PDF-111p)




- Image et Son.La revue du cinéma (n°352 - juillet 1980) : Marcel Martin et Jacques Valot brossent un portrait du cinéaste où transparaissent en filigrane les travers et partis pris de certains critiques d'époque, qui voyaient en Fuller un apôtre de la violence et du fascisme ! C'est vrai que beaucoup d'idioties ont été écrites sur son compte, et que certains n'ont vraiment rien compris à ses films et aux intentions de leur auteur….(PDF - 4p)




- Image et son.La revue du cinéma (n°360 - avril 1981) : 
Samuel Fuller, anarchiste, moraliste et américain. Une approche intelligente et percutante du cinéma de Samuel Fuller par Noël Simsolo.
Fuller au crible : une réjouissante table ronde, embellie par les interventions de Bertrand Tavernier, Noël Simsolo, Marcel Martin, Daniel Serceau et Jacques Zimmer.  (PDF-20p)




Kermite.

Remux Blu-Ray :




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Bonus Personnels :


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dimanche 24 novembre 2019

Blonde Crazy 1931 - Roy Del Ruth VOSTFR





Synopsis : Bert, (James Cagney) use de tout son pouvoir pour essayer de faire entrer Anne Roberts (Joan Blondell) en tant que femme de chambre dans l'hôtel où il travaille, et essaye d'user de tous ses charmes pour la séduire, mais ce n'est pas gagné...  





Les années qui ont suivi la Grande Dépression semblent avoir plongé la grande Amérique dans un sentiment d'urgence qu'elle n'avait jamais connu jusque-là. Le pays se doit de sortir de l'abîme béant qui s'ouvre devant lui. C'est une question de survie. Le même sentiment d'urgence parait imprégner la production cinématographique de l'époque. (18 films tournés par William A. Wellman entre 1930 et 1934…! ) Ainsi, au début des années 30, la Warner Bros imposait aux acteurs un rythme de travail effréné et une cadence de folie. Pour la seule année 1931, James Cagney joue dans plus de 6 films, avec des conditions de travail éprouvantes, contre lesquelles l'acteur ne cessera jamais de s'élever.
En 1931, James Cagney en est à ses débuts au cinéma, pourtant, depuis la sortie de Public Enemy, de William A. Wellman, il est déjà une vedette consacrée, grâce à son rôle de gangster psychotique, auquel le public, en pleine période de prohibition, s'identifie totalement.
À son crédit, un jeu dynamique et alerte. Du rythme dans ses mouvements, ses déplacements. Son débit verbal est impressionnant. James Cagney est une boule d'énergie qui insuffle à ses personnages un incroyable sentiment de vie, une vitalité à toute épreuve. Voilà qui explique, en partie, les raisons de son succès. Ses interprétations offrent un contrepoint magistral à l'inflexible morosité ambiante et aux spasmes de la crise économique.

La même année, il est en tête d'affiche avec Joan Blondell dans Blonde crazy, de Roy Del Ruth, dont la carrière aux débuts des années 30 est déjà presque à son apogée. C'est en effet au cours de cette décennie qu'il réalise sans doute ses meilleurs films. Le Faucon Maltais, Taxi! Employée’s Entrance, The Mind Reader ont été réalisés juste avant l'application du fameux Code Hayes en 1934. L'appellation de film Pré-Code est trompeuse, et même incorrecte, car les films qu'on a appelé plus tard Pré-Code, ne sont pas ceux qui  ont été réalisés avant l'instauration du Code Hays en 1930. Ce sont précisément ceux qui ont vu le jour entre le moment où le Code Hays a été rédigé en 1930 (un code souvent ignoré et peu appliqué dans l'ensemble) et celui où, sous la pression des milieux catholiques, des Évêques, et du très puritain Joseph Breen, il a été fermement et scrupuleusement appliqué à partir de 1934.

L'apparition du Code Hays ne signifiait pas qu'il n'existait pas de censure auparavant. Ce qu'il faut savoir, et c'est assez paradoxal, c'est qu'il n'existait aux États-Unis aucune censure fédérale, chaque État disposant de ses propres groupes de pressions associatifs et religieux. Mais les scandales sexuels répétés du début des années 20, touchant certaines stars du cinéma muet, ont obligé l'industrie du cinéma à établir une sorte de Charte morale valable pour tous les États. Car un boycottage massif des films par le public, impulsé par des ligues de vertu, pouvait tout simplement aboutir à la mort de cette industrie naissante. Hollywood pouvait y laisser sa peau.
Voilà pourquoi Will H. Hays a été nommé en 1922 à la tête de la MPPDA (Motion Picture Producers and Distributors of America) et chargé d'établir les prémisses d'une véritable autorégulation, de mettre un peu d'ordre moral dans la production des films. Une tâche rendue ardue par le fait que chaque État disposait de sa propre conception de la moralité, et que ce qui était permis et toléré chez l'un, pouvait ne pas l'être du tout chez un autre. Ce qui explique pourquoi les studios pouvaient réaliser des copies différentes d'un même film, d'une même scène, suivant l'État où elles étaient destinées et distribuées.


En tout cas, juste avant l'arrivée du parlant, une série de règles furent instituées, édictées par les instances du cinéma, sous le nom de "Don'ts and be carefuls", liste édifiante d'interdits visant à montrer tout ce que les studios et réalisateurs ne devaient pas faire. Elle avait pour but de mettre en exergue des principes de conduite et des règles de la morale bien définis. Bien trop concise, elle ne pouvait pas être respectée au pied de la lettre. Ces interdits furent pourtant intégrés dans le fameux Code Hays, qui fut définitivement appliqué en 1934, sous la pression des milieux catholiques, ces derniers n'ayant pas hésité à faire un véritable chantage aux producteurs, en leur faisant comprendre que s'ils ne se pliaient pas à leurs exigences, un boycott général de leurs films risquerait de leur faire perdre beaucoup d'argent. Une campagne des évêques a été orchestrée auprès du public et la montée au créneau de plusieurs cardinaux a mis du poids dans la balance. La puissante Ligue Catholique pour la vertu recueille la signature de près de 5 millions de fidèles sous la forme d'un serment d'allégeance ! Devant la menace exhibée d'un boycott national, les dirigeants de l'Industrie du cinéma cédèrent aux coups de boutoir de la Ligue...

Et pourtant, ces films réalisés entre 1930 et 1934, qu'on a appelés après coup, Pré-Code, sont d'une audace inouïe. Leur liberté de ton peut laisser pantois, les sujets abordés sont parfois d'une crudité déroutante, et les sous-entendus sexuels jubilatoires ! Mais cette «parenthèse enchantée», expression récusée par certains historiens, fut malheureusement trop brève. Sentant que les choses n'allaient pas durer éternellement, et que le vent allait forcément tourner, les réalisateurs se sont jetés à corps perdu dans la création…. Une urgence créative qui a vu une profusion d'œuvres pour une si courte période.
On retrouve dans Blonde Crazy tous les ingrédients qui font le charme et la force des films Pré-Code. Dialogues salaces et sous-entendus graveleux, vulgarité assumée, cynisme des situations, liberté sexuelle au sein du couple…
Blonde Crazy est une comédie pétillante et immorale. Roy Del Ruth prend un malin plaisir à nous dépeindre un petit couple d'escrocs à la petite semaine, obnubilé par l'appât du gain. Mais ce couple d'escrocs formé par James Cagney et Joan Blondell fonctionne à merveille. Dès leurs premières escarmouches, on sent que ces deux-là iront loin ensemble. Et d'ailleurs, leur entente est si flagrante, qu'ils continueront de jouer encore, dans près de cinq films….
Joan  Blondell se distingue par son sens de la répartie, sa fraîcheur, et au final, le film de Roy Del Ruth est une  belle réussite.

Bonus Personnels :

- Extrait des Cahiers du Cinéma (décembre 2013 - PDF - 13p) un dossier consacré aux films Pré-code avec des portraits de Barbara Stanwyck, Mae West et Jean Harlow, complété d'un article consacré au réalisateur William A. Wellman. L'étude est soignée, mais on sent poindre chez leurs auteurs une volonté de mettre le holà à certaines idées reçues liées aux films de cette période. 

- Un article d'introduction aux Films Pré-Code signé Hélène Frappat figurant dans le livret Forbidden Hollywood, consacré aux trésors de la Warner sortis en DVD. ( PDF - 2p)

- «Forbidden Hollywood» (PDF-7p) est un article écrit par Frédéric Cavé dans la revue 1895  (1er décembre 2014). C'est une réponse cinglante aux allégations d'Hélène Frappat plaçant les Films Pré-Code sur le terrain du féminisme. Si Frédéric Cavé semble relativiser la portée des films Pré-Code, et leur pouvoir subversif, en insistant sur le fait que, finalement, les thématiques abordées par les Films Pré-Code, l'étaient déjà au temps du muet, (ce qui en soi ne détermine en rien de la subversion d'une œuvre, car celle-ci dépend peut-être moins du contenu que de la manière de traiter un sujet...)  l'auteur omet un fait essentiel, qui bouleversa le cinéma dans ses règles et ses fondements : l'apparition du parlant, qui opéra une refonte complète du cinéma, de sa façon de l'appréhender. Son pouvoir de subversion prit un nouveau visage…

-  Le Code Hays. L'autocensure du cinéma américain par Francis Bordat, historien du cinéma américain. Un article passionnant, extrait de Vingtième Siècle, revue d'histoire, parue en juillet 1987. L'auteur y fait le récit de l'étonnante histoire du Code Hays. (PDF - 15p)

Les films Pré-Code de la Warner (1930-34) (France Culture-FLAC-31 mn). Les critiques de cinéma, Philippe Rouyer et Jean-Baptiste Thoret, esquissent les grandes lignes du cinéma Pré-Code à travers des exemples précis de films d'Alfred Green,  William A. Wellman et Frank Lloyd.

Forbidden Hollywood : les films de  l'ère Pré-Code. (France Inter-51mn-FLAC) Philippe Rouyer toujours à l'œuvre dans l'intérêt porté aux films Pré-Code.
- Bande-annonce du film en VO ( MKV - SD-3mn)

Puisé dans des revues d'époque qui n'évitent pas les potins, (ah la rubrique faire-part...) mais réussissent à brosser un portrait attachant de Joan Blondell :

Pour Vous n°183 (19 Mai 1932 - PDF - 1p)
Pour Vous n°307 (4 Octobre 1934 - PDF - 1p)
Cinémonde n°325 (janvier 1935 - PDF- 2p)

PS: le DVD d'origine est en VO, ajout des sous-titres en fr (en jaune ou blanc) synchronisés par mes soins.
J'attends toujours la traduction de l'autobiographie de James Cagney, (Cagney by Cagney), parue déjà, il y a plus de 40 ans... C'est vrai quoi, nous les gueux européens, on a envie de se cultiver... Ce serait bien que nos amis américains le sachent...!

Kermite.  

Lien :  
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lundi 11 novembre 2019

Jazz at the Philharmonic,the beginning 1944





Si on m'avait dit qu'un jour, j'écouterais du jazz et que pire, je finirais par aimer cette musique, je l'aurais regardé de travers et répondu de mon air le plus snob : quoi, moi, écouter cette musique d'intello, ses solos interminables à vous ramollir le ciboulot ? Non merci, je passe mon tour.
C'était sans compter sans la persévérance d'un ami qui m' a pris au dépourvu et passé par surprise un drôle de disque sur sa platine. Un truc des années 30, avec trompettes et orchestre, mais pas le genre musette et plan-plan, c'était incroyablement rythmé, tonique, dansant, swinguant. J'écoutais ébahi, merde alors, c'était donc ça le jazz ? Le disque était l'œuvre d'un certain Duke Ellington. Voilà comment tous mes préjugés ont depuis ce jour-là volé en éclats. Je suis devenu un vrai mordu de swing, amoureux d'une époque follement insouciante, qui prenait plaisir à s'amuser. Pourtant, à y regarder de plus près, la réalité était loin d'être rose. La Grande Dépression étant passée par là, avait plongé l'Amérique dans une faillite économique et humanitaire vertigineuse. Les émeutes de San Francisco en 1934 nous rappelaient que les gens n'avaient plus rien à becqueter dans leur auge. Il suffit de voir certains clips musicaux réalisés au cours des années 30, c'est édifiant. La nourriture était obsessionnelle... Les gens crevaient la dalle et leur seule véritable obsession, c'était bouffer...

Et pourtant le swing brille par son optimisme à tous crins. Pour oublier toute cette misère, on s'éclate au rythme des Big Bands, dans les Dancings, où des battles de danse acrobatique s'improvisent dans une euphorie galvanisante. L'âge d'or du swing, c'est ce concert historique au Carnegie Hall en 1938, réunissant l'espace d'une soirée, et sous la coupole d'un Benny Goodman inspiré, la crème des musiciens de jazz: Count Basie, Lionel Hampton, Cootie Williams, Buck Clayton, Harry Carney .... Malheureusement, l'arrivée du Bebop  pendant la guerre met un terme à la folle épopée du swing. Clap de fin. Ainsi en va-t-il des courants musicaux, ils viennent comme ils disparaissent...







Une bande de jazzmen transforme le 2 juillet 44 la salle du Philharmonique de Los Angeles, réservée aux concerts classiques, en chaudron explosif !


Réalisé le 2 juillet 1944, Jazz at the Philharmonic est le premier concert d'une longue série, produit par Norman Granz, passionné de jazz, et doté d'un brillant sens des affaires. C'est une jam-session dans la grande tradition du jazz. Habituellement réservée au Philharmonique de Los Angeles, cette salle réunit pour l'occasion une sacrée palette de musiciens. Avec, au piano, le grand Nat King Cole, surtout connu pour sa voix de crooner qui fera sa célébrité dans les années 50. Il a été et restera, un fabuleux pianiste. Ses arabesques et son jeu cristallin me fascinent. Il a un don pour aller au plus simple, au plus concis. Dans Blues, ses envolées lyriques exhibent des moments d'une délicieuse espièglerie enfantine. Avec le guitariste Les Paul, il nous offre un duo mémorable, d'une fantaisie bondissante et pleine d'humour.
À la contrebasse, 
Red Callender et Johnny Miller tricotent leur gamme en se marrant comme des fous. Alors que Gene Krupa et Lee Young, frérot du grand Lester, sont aux baguettes. Celui qui met le feu à son saxo, c'est Illinois Jacquet. Profession pyromane. Un incendiaire d'une puissance explosive qui démarre au quart de tour !
Tout ce beau monde prend un pied immense à jouer, et déborde d'une énergie folle.
Le résultat : un feu d'artifice musical déployant un concert de notes en feu et livrant une musique en bâtons de dynamite.
Si avec tout ça, vous n'avez pas des fourmis dans les jambes, échangez d'urgence vos semelles de plomb contre une paire d'espadrilles.


Kermite. 





1 CD FLAC

Liens :  
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samedi 26 octobre 2019

La Paloma - Helmut Käutner 1944 VOSTFR





    Synopsis :  Ancien marin, Hannes Kröner chante tous les soirs dans un cabaret de Hambourg, situé dans la rue Grosse Freiheit. Un soir, son frère, mourant, lui fait part d'une mission un peu particulière....


    En 1943, l'industrie du cinéma allemand dut s'adapter aux ravages de la guerre aérienne et des bombardements alliés.Tourné en partie à Hambourg la même année, Große Freiheit N°7, réalisé par Helmut käutner, subit de plein fouet les tumultes et les vicissitudes de la guerre. Le tournage débute en mars 43, dans les studios de la Ufa à Neubabelsberg, puis à Berlin-Tempelhof, que les bombes détruisent entièrement pendant l'été. L'équipe est alors délocalisée à Prague, dans les studios Barrandov. Mais les extérieurs, eux, sont tournés à Hambourg, en automne 43. Autant dire que, après les raids aériens des Alliés, filmer le port de Hambourg, sans rien laisser paraître du désastre, relève de la gageure. C’est le fruit d'un authentique exploit. Car Hambourg est dévastée, détruite, laminée.1 million de sans-abri, 45 000 morts. Mais par quel miracle, Helmut Käutner réussit à capter ces images d’un Hambourg paradisiaque et poétique, alors que le plus grand port d'Europe est encore en été 43, sous l'emprise d'une véritable tempête de feu... ? 
    Ces quelques images furtives qu'il réussit à glaner, ne laissent rien filtrer de la tragédie qui s’est abattue sur la ville... Elles semblent baignées dans une atmosphère irréelle et soyeuse, et les couleurs, magnifiées par l’Agfacolor, ont une tonalité incroyablement chaude. Dieu que la guerre semble loin, Käutner nous emmène dans un rêve éveillé, aux confins d'un imaginaire dont il a le secret.
    À l'origine du projet, c'est Goebbels qui fournit à la Terra, filiale de la UFA, l’idée centrale autour de laquelle il envisage et conçoit le film, à savoir une comédie sentimentale et musicale, fondée sur des airs de chansons allemandes populaires. Et c'est vrai que le film de Käutner a, parfois, des petits airs de comédies musicales américaines. Légèreté et festivité sont au menu. Hans Albers, lui-même natif de Hambourg, est monumental. Ilse Werner est une femme résolument moderne, et choisit elle-même son destin. Dans les scènes de nu, elle est d'un naturel désarmant. 
    Le film déplut fortement au Ministre de la Propagande, qui le jugea immoral, et dégradant pour l'image de la femme et l'honneur de la marine allemande. Que ces matelots puissent se livrer sans vergogne, à des prostituées, et s'adonner à des beuveries permanentes, voilà qui ne plaisait manifestement pas au patron du cinéma allemand... Il exigea plusieurs coupes, mais le film n'obtint finalement pas l'autorisation du bureau de Censure, alors qu'il devait, pour sa "première solennelle" être projeté à Hambourg. Il fut interdit d'exploitation, du moins en Allemagne, mais autorisé à l'étranger. Il a bien fallu amortir le coût du film, qui s'élevait à plusieurs millions de marks, le seul salaire de Hans Albers engloutissant près de 400 000 Marks...
    La première eut donc lieu à Prague, en décembre 44, et le film ne fut diffusé en Allemagne, qu'en 1945, après la chute du régime.
    PS : La copie est splendide, entièrement restaurée en 4K, et quelles couleurs ! Le film sera diffusé en France, sous le titre  La Paloma .
    Comme souvent, Helmut Käutner fait une apparition remarquée, en tant qu'acteur, (au début du film) dans le personnage un brin fantasque de Karl

    Bonus :

    - Extrait de Une histoire du cinéma allemand : la UFA, de Klaus Kreimeier  ( PDF- 7p)  Mille excuses pour la qualité du scan, je me suis essayé au scan portable, et ça ne m'a franchement pas réussi... Donc ça sera la dernière... Outre quelques pages sur le film de Käutner, vous trouverez de précieuses informations sur un autre film célèbre, Kolberg de Veit Harlan.
    - Histoire du cinéma nazi de Francis Courtade et Pierre Cadars (jpeg)

    Kermite.

    HDTV (1040x1080) VOSTFR+VF

    Liens : 

    https://1fichier.com/?1kw2oxiaf5nwv4vj9v6p
    ou 
    https://uptobox.com/sz6z1kx652oq







vendredi 18 octobre 2019

Daïnah la métisse - Jean Grémillon 1931





Contrairement à ce que j’ai pu lire çà et là, Daïnah la Métisse n'est pas un moyen métrage, mais un film insolemment mutilé à sa sortie par ses producteurs. Un véritable massacre qui explique un peu mieux pourquoi le film apparaît bancal. Il manque des scènes. Et pas des petits bouts de scènes. Le critique et historien, Philippe Roger, émet l'hypothèse que tout le début a été entièrement coupé, soit grosso modo, une quarantaine de minutes passées à la trappe. C'est Léon Mathot qui a eu la charge d'opérer les coupes. Finalement, il ne restera que 1500 mètres sur les 2200 mètres initiaux. Et pour cette raison, Jean Grémillon refusa de le signer. Il n'est d'ailleurs pas crédité au générique.
Malheureusement, la version originelle du film ne pourra jamais être reconstituée, la pellicule coupée ayant été définitivement détruite.
Le film s'inscrit dans une époque charnière du cinéma. Nous sommes en 1931, c'est-à-dire, au début du film parlant, et ce que voulaient surtout les producteurs, c'était un film léger, une sorte de comédie chantante, une façon pour eux d'exploiter le filon commercial du film parlant. Mais le traitement sonore, très avant-gardiste, qu'en a fait Jean Grémillon a dû les laisser perplexes… Car à une période où les cinéastes s'accordent pour donner la prééminence à la parole, Grémillon, lui, la refuse, en estimant que les bruits, les sons, les chants, la matière sonore dans son acception la plus large, ont plus d’importance que le parlé en lui-même ! Cette vision audacieuse et personnelle du cinéma a pour but ultime de faire émerger la magie du son. Elle a été possible parce que Grémillon a été toute sa vie, musicien dans l'âme. Élève de Vincent d'Indy, il suit une formation musicale à la Schola Cantorum. C'est d'ailleurs en tant que violoniste qu'il fait ses débuts artistiques, au Max-Linder, l'une des salles de cinéma les plus prestigieuses. Il jouait dans une petite formation orchestrale qui accompagnait les films muets.
Composant parfois lui-même ses musiques de films, Grémillon considère justement le septième Art dans une optique intrinsèquement, essentiellement, musicale. L'ensemble de son œuvre est marqué par sa sensibilité et son expérience de musicien. Mais son approche esthétique, profondément personnelle et originale, reste souvent incomprise par ses pairs. Traditionnellement, la musique sert, le plus souvent, à accompagner les images, à magnifier une scène, ou à pallier son manque d’émotion. Chez Grémillon, ce sont les images, au contraire, qui doivent suivre les modulations du rythme musical, et servent d’illustrations aux thèmes musicaux. 
Comme l'écrit Pierre Billard dans la biographie qu’il consacre à Jean Grémillon : (1)
«Son rêve informel,[à Grémillon] c'est que l'image elle-même devienne musique. Tous ses films personnels porteront la trace de cette “composition musicale».
Adapter l'image à la musique, plutôt que la musique à l’image, voilà formulées, les prémisses d’une philosophie, d'un esthétisme, auquel Jean Grémillon restera attaché toute sa vie.
Daïnah la métisse offre une impressionnante palette sonore. Le film s'ouvre et se termine sur le même air lyrique, alors que le bruit et le cliquetis des machines rythment la croisière par vagues successives. Mais c'est une atmosphère très jazz, (jazz des années 30 évidemment) qui baigne et imprègne constamment le film.
La mise en scène est austère, mais il y a des fulgurances formelles qui révèlent une conception très géométrique de l'espace, avec une architecture quadrillée, des lignes qui dessinent d'étranges arabesques, et des plans verticaux qui dénotent un sens aigu de la profondeur et de la verticalité.
Une autre qualité de ce film maudit, et pas des moindres : la qualité des interprètes.
Charles Vanel tient magistralement le haut du pavé (la scène de l'interrogatoire est sublime). Et Daïnah la Métisse est littéralement portée par une Laurence Clavius lumineuse et sensuelle, qui tient ici son premier et unique rôle au cinéma. Il y a cette extraordinaire scène de bal masqué, avec cette danse qui reste, à mon sens, le moment le plus fort du film. Une danse en guise d'orgasme, comme une offrande dionysiaque à la nature, où Daïnah, sur des riffs de jazz endiablés, s'offre aux regards, aux éléments, à la vie.
Habib Benglia impose un style d'une élégance sobre. Si l'acteur a bien eu, à son actif, une quarantaine de films, on ne lui a donné en revanche que des rôles secondaires (excepté Daïnah) et le fait qu'il n'y fasse que des apparitions furtives, n'enlève rien à l'exceptionnelle longévité de sa carrière. Ses rôles sont largement inspirés d'un cinéma exotique dans lequel tous les poncifs de la mythologie et de la pensée colonialistes ont manifestement trouvé un point d'ancrage.
En 1930, par exemple, peu avant le tournage de Daïnah la métisse, il joue dans la Femme et le rossignol, d’André Hugon. Il y tient le rôle d’un chef de tribu. Tourné en Côte-d'Ivoire, ce film est l'exemple type des films coloniaux tournés en Afrique, destinés à satisfaire la curiosité du public européen, avide d'exotisme et de dépaysement.
Originaire du Soudan, et né à Oran, Habib Benglia arrive en France juste avant la Première Guerre mondiale. Autodidacte chevronné, il réussit à parfaire sa formation de comédien dans les arts du music-hall et le théâtre de boulevard. Il fut tour à tour amuseur, danseur, auteur, et s'est bâti sur les planches une véritable carrière de tragédien. Surnommé aussi le “tragédien noir”, marque reconnaissable de son indéniable réussite sur la scène théâtrale, il semble bien avoir été le premier acteur noir en France, à s'imposer dans des rôles classiques au théâtre, le premier, tout du moins, à accéder à la célébrité, dans l'entre-deux-guerres.



Dans une France colonialiste profondément engoncée dans ses préjugés raciaux, il faut saluer l'audace et le courage de Jean Grémillon d'avoir porté Habib Benglia et Laurence Clavius sur les devants de la scène, et de leur avoir accordé les premiers rôles du film. Mettre un noir et une métisse en tête d'affiche, voilà qui ne manquait pas de piquant en 1931…. D'autant plus étonnant, que le film prend le revers de l’imagerie coloniale, et que, fait rarissime, le noir tient, pour une fois, le beau rôle. Habib Benglia, qu'on voit souvent plongé en pleine lecture, est un intellectuel raffiné, un écrivain épris d'un calme  étonnant, et forme avec sa femme, Daïnah, un couple exotique de bourgeois, sur lequel ne manqueront pas de se poser l'attention et la curiosité des passagers. 
Charles Vanel, un mécanicien rustre, confiné dans la salle des machines, cède facilement à la sauvagerie de ses pulsions. Mais les nuances qu'il apporte à son personnage le rendent presque attachant. 
Au final, si le film peut dérouter par sa structure et ses ellipses redondantes, il constitue néanmoins un parfait échantillon des ambitions artistiques que Jean Grémillon a très tôt placées dans le cinéma, et réussi à dessiner les contours d'une singularité qui ne fera que s'affermir par la suite.




Cette édition vaut aussi pour la qualité exceptionnelle de ses bonus : en premier lieu, vous trouverez un documentaire fascinant, Jean Grémillon et le réalisme magique. Philippe Roger, Geneviève Sellier, Giusy Pisano et Yann Calvet vont, chacun à leur manière, parler de ce cinéaste passionnant, malheureusement resté à la marge du cinéma français. Si vous ne connaissez pas Jean Grémillon, c'est une excellente entrée en matière. Il faut voir comment Philippe Roger réussit, à partir d'une simple affiche de film, (celle de Daïnah la métisse), à dévoiler l'univers esthétique et philosophique de Jean Grémillon,  j'en ai eu le souffle coupé !
Vous retrouverez Philippe Roger dans le second bonus. Toujours aussi pertinents, ses précieux commentaires apportent à la compréhension du film un éclairage indispensable.


Bonus Blu-ray :


- Jean Grémillon et le réalisme magique (HD-56mn-MKV)
- Séquences commentées (HD-19mn-MKV)
- Intermède musical ( HD-2mn-MKV)


Bonus personnels :


- Premier plan (revue mars 1960) : Grémillon par Pierre Kast. (PDF-25p)


- Anthologie du cinéma : Grémillon par Pierre Billard. J'ai pour Pierre Billard une grande admiration, et la petite biographie qu'il a écrite sur Jean Grémillon, donne à travers une brillante analyse de ses chefs-d'œuvre, la mesure de son talent.   (PDF-22p)



- Les Cahiers du Cinéma  :  injustement passée sous silence par les Cahiers du Cinéma pendant des décennies, l'œuvre de Jean Grémillon est enfin reconnue à sa juste valeur, et passée au crible dans une série d'articles parus en octobre 2013. Ils jettent une lumière éclatante sur l'univers poétique et musical du cinéaste, mais n'expliquent pas comment celui qui avait toutes les cartes en main, pour devenir le chef de file du Cinéma français d'après-guerre, (après avoir réalisé coup sur coup trois chefs-d'œuvre entre 1939 et 1944) a été frappé du sceau de la malédiction, en raison d'une série de projets malheureusement avortés, et termina sa vie dans l'oubli. Un destin singulier pour un cinéaste maudit. 
Pierre Kast, qui fut l'assistant de Jean Grémillon, a tenté de donner une explication à cette malédiction, et au fait, assez déroutant, que ses films n'avaient aucune emprise sur leur époque. Pour expliquer ces échecs et sa mise à l'écart du milieu cinématographique, Pierre Kast parle d'inadaptation. Inadaptation de Grémillon au monde de la production et à ses exigences financières. Comme si, finalement, ces contraintes restaient à ses yeux incompréhensibles et incompatibles avec l'exercice de son Art. (PDF - 27p)




- Extrait du DVD, Remorques : Grémillon, le méconnu :  cette coproduction de France 3 Normandie, donne un aperçu succinct de la carrière cinématographique de Jean Grémillon, mais les interventions plus que savoureuses de Madeleine Renaud, Micheline Presle, Michel Bouquet, et d'Arlette Thomas, confèrent un charme indéniable à ce documentaire du terroir. Une petite erreur s'y est toutefois glissée, car ce n'est pas en tant que pianiste, mais bel et bien en tant que violoniste, dans de petits orchestres, que se produisit Jean Grémillon au Max-Linder, pour accompagner les films muets.  (Remux DVD-MKV-25mn)

- Extrait du DVD, Lumière d’été Jean Grémillon, un cinéaste sous l’Occupation. Le doc réalisé par Véronique Martin montre comment l'Occupation a été pour Grémillon la période la plus prolifique de sa carrière, une période faste et féconde qui aura vu la naissance de ses plus beaux chefs-d'œuvre. Lumière d'été qui en fait partie, est ici analysée sous toutes ses coutures. Avec la participation de Philippe Roger, Jean-Pierre Mocky, Paul Vecchiali, Michel Bouquet et de quelques historiens du cinéma qui retracent la genèse du film en le replaçant dans son contexte historique. Une belle occasion de découvrir ce mal-aimé du cinéma français, cet artiste complet aux multiples talents, qui amènera le septième Art sur le terrain des passions humaines, du lyrisme et de la poésie. (Remux DVD-MKV-52mn)

- Extrait de la revue, Hommes et Migrations, n°1132, mai 1990, Les Africains Noirs en France. Regards blancs et colères noires, par Philippe Dewitte. (PDF-13p)


- Sur Habib Benglia, bien peu d’articles et de livres lui sont consacrés. Mais le travail de Nathalie Coutelet mérite le détour. Dans une série d'articles, elle s' est attelée à retracer sa carrière théâtrale et cinématographique, en mettant à nu l'arrière-fond historique et colonial, et en décryptant les préjugés raciaux, enracinés dans les mœurs et la société.
L'Exposition coloniale de Vincennes en 1931 entérine et popularise une vision ethnographique et raciste à l'égard des colonies et de ses populations locales. Une vision nourrie par un discours scientifique fondé sur la hiérarchie des races, où les noirs passent pour avoir d'évidentes origines simiesques. La France, fière de son idéologie impériale, y expose ses indigènes sous la forme de zoos humains.
Le noir est généralement perçu comme symbole de luxure, de lubricité, d’animalité. On se complaît à se le représenter sous l’effigie du diable ou du sorcier aux pouvoirs maléfiques. Cette représentation symbolique et tenace du corps noir, a longtemps persisté dans les consciences (jusque dans la première moitié du 20e siècle) et se retrouve jusque dans les sphères intellectuelles de la société, puisqu'elle s'immisce souvent, presque inconsciemment, dans le discours des critiques eux-mêmes, qui ont du mal à juger la prestation de l'acteur, sans tomber dans ces travers idéologiques. C'est ce qu'explique merveilleusement Nathalie Coutelet, à travers l’étude qu'elle a réalisée sur la façon dont ont été perçues, par les critiques, les prestations d'Habib Benglia. Car il a généralement été apprécié, admiré pour sa plastique, la beauté sculpturale de sa musculation et ses qualités athlétiques de danseur. Il lui a fallu bien des efforts pour que, finalement, son jeu de scène et ses qualités d'acteur soient enfin reconnus. Pouvoir affirmer sa propre personnalité, en échappant à ces représentations stéréotypées et primitives, n'aura pas été une mince affaire. Le mérite de Habib Benglia est d’avoir réussi à briser cette immense chape de préjugés. Son prestige n'en est que plus grand.

- Habib Benglia : quand le noir entre en scène, par Nathalie Coutelet. (PDF-22p)
- Habib Benglia, le nègrérotique du spectacle français, par Nathalie Coutelet. (PDF - 13p)
- Habib Benglia et le cinéma colonial. (PDF-15p) 

- Monsieur Vanel, un siècle de souvenirs, un an d’entretiens : avec sa gouaille d'artiste et sa poésie, Charles Vanel se confie à Jacqueline Cartier et nous raconte ses souvenirs, sur le tournage de Daïnah la métisse. Le tout agrémenté de quelques photos piochées dans le livre, et qui rappellent à l'évidence, qu'à tout juste 20 ans, Charles Vanel était vraiment bel homme, et qu'il avait la carrure, l'étoffe et le physique pour jouer les rôles de jeune premier. (PDF-10p)

- Le Chant du monde Les voix méditées-mélodiées du biographe selon Jean Grémillon par Philippe Roger. (PDF-16p) Par moments un peu ardu d'accès, le texte de Philippe Roger met en lumière le traitement sonore des films de Grémillon et permet d'en mieux saisir la portée philosophique et esthétique.

- C'est toujours un plaisir d'entendre la voix de Grémillon. Diffusé sur la chaîne Nationale le 29 janvier 1952, un document rare qui a pour thème : Le film sur l'art trahit-il l'art ? Un débat ouvert autour de Fernand Léger, André Chamson, André Bazin, Emmanuel Berl et Jean Grémillon. Et comme il est dit, à la fin de l'émission, comme pour se départir d'éventuelles poursuites judiciaires, "les opinions émises à la Tribune de Paris engagent la seule responsabilité de ceux qui les expriment." Autre temps, autres mœurs...(France Culture - 25mn- FLAC)

- Grémillon, le cinéaste maudit (RTS- MP3 -7mn)
- Revue Pour Vous.1930. Ciné-reportage à bord du paquebot,  pendant le tournage du film, non loin des côtes de l'île de Beauté.   (PDF-1p) 
- Revue Pour Vous.1931. Habib Benglia donne une interview.(PDF-1p)
- Revues Pour Vous.1932. (PDF-1p) Une critique du film pas tendre du tout, signée Nino Frank, à la sortie du film, en 1932.
- Une critique élogieuse du film par Xavier Jamet. (jpg)

- Cinema 60. Pierre Kast et Philippe Esnault rendent hommage à Jean Grémillon, mort dans l’anonymat, le 25 novembre 1959, quelques heures seulement après l'annonce de la mort, retentissante, de Gérard Philipe. (PDF-11p)


- Sauvage au cœur des zoos humains : dossier de presse sur les zoos humains, issu du documentaire du même nom, réalisé par Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet. (PDF-12p)


Kermite.

Bluray REMUX
VF+ St anglais et français (1920X1440 - MKV)

Liens :


Film : https://1fichier.com/?kci9ypwn16bgk670l8ga


Bonus : https://1fichier.com/?edn0rdqy2agedooxgmlz