dimanche 24 octobre 2021

Une confiance aveugle





À la réflexion, comment imaginer un seul instant qu’un aveugle puisse piloter une moto, seul, à la vitesse de 265 km/h ? Ce qui peut paraître, a priori, inimaginable, trouve un démenti cinglant dans l'histoire qui nous est ici contée à travers le documentaire d'Eva Küpper.

Je ne suis pas un mordu des sports mécaniques, et n'ai jamais été attiré par ces bolides à deux roues qui filent à des vitesses diaboliques et exercent sur la gent masculine une étrange fascination, mais je dois bien avouer que j'ai été franchement touché par le portrait de Ben Felten, un australien passionné de moto, devenu subitement aveugle à l'âge de 37 ans, et qui s'est donné pour objectif de battre le record de vitesse à moto détenu par un aveugle. C'est Kevin Magee, ancien champion de Grand Prix Moto, qui va le prendre sous sa coupe, l'aider, le guider peu à peu dans ce défi totalement fou.

Il ressortira de leur rencontre une véritable aventure humaine, où l'amitié, flirtant continuellement avec l'amour, fait naître des espérances insensées. Leur complicité grandissante se nourrit de cette confiance aveugle qui devient le ciment de leur relation. Cette confiance aveugle, c'est justement celle que placera Ben Felten dans son guide, pour battre ce fameux record, quand, roulant sur une piste de 19 kilomètres à plus de 160 miles, il s'évertue à suivre consciencieusement les consignes radio de son mentor, qui le suit à moto juste derrière lui, pour corriger la trajectoire et éviter les écarts de conduite.

Parallèlement à cette histoire, il y a celle de Jed, adolescent se sachant condamné à devenir aveugle des suites d'une dégénérescence maculaire, et qui imagine soudain à quel point sa vie va devenir un enfer.

C'est bien la conjonction de ces deux histoires qui fait toute l’originalité du documentaire. La trame du récit prend des allures de rite d'initiation. La rencontre entre Ben Felten et Jed doit permettre à l'adolescent d'accepter l'inéluctable, de trouver un sens à ses interrogations, de voir la vie d'un autre œil. Lui, qui ne réalise pas complètement ce qui l’attend, semble avoir pour seul repère la volonté farouche de s’accrocher à ses passions, le rodéo et la moto.

C’est un Ben Felten aguerri, étonnamment mature, qui trouvera les mots justes pour passer un message gorgé d’optimisme, à tous ceux qui cherchent des réponses à leurs angoisses : accepter son handicap, ne pas baisser les bras devant les difficultés rencontrées, et continuer de vivre et faire, ce qui, au fond de nous-mêmes, nous passionne. Voilà une magistrale leçon de vie !



Liens : https://1fichier.com/?l5j8a01suekkp2hi5okx

HDTV (1080 X 1040 - TS- 1,61 Go)


Kermite.

dimanche 3 octobre 2021

Regard neuf sur Olympia 52 - Julien Faraut











Pour tous les passionnés de sport et de cinéma, Regard neuf sur Olympia 52 est une aubaine, une chance inespérée, puisqu'il exhume quelques bouts d'histoires du premier long-métrage, que Chris Marker réalisa sur les Olympiades d'Helsinki en 1952, et sobrement intitulé  Olympia 52. Dans les années 50, le film fut brièvement exploité, mais l'auteur, jugeant l'œuvre de jeunesse trop brouillonne, l'enterra définitivement en l'enlevant de sa filmographie. 

Julien Faraut a eu la très bonne idée de vouloir faire un film sur la genèse de ce film oublié. Raconter son histoire. En somme, un film sur le film. Il demande et obtient de Chris Marker l'accord pour exploiter quelques extraits d'Olympia 52. Et le résultat est fascinant. Il nous plonge directement dans le maelstrom de la création cinématographique, au cœur du processus créatif, avec ses enjeux, ses contraintes techniques et, bien sûr, les pressions financières auxquelles il est soumis. Absolument tout est décortiqué sous nos yeux, et c'est un peu comme si Olympia 52 renaissait, revenait, par miracle, à la vie. Du grand art !


Et puis il y a les images des Jeux eux-mêmes, marqués par la figure légendaire d'Emil Zatopek. Et cette finale hallucinante du 10 000 mètres, restituée par quelques bribes d'images heureusement conservées, qui nous font vivre cette course d'anthologie, dominée par la puissance et la vélocité du coureur tchèque. Même Alain Mimoun, qui accrochera la deuxième place, ne pourra jamais revenir à sa hauteur. Zatopek termine ce 10 000 mètres dans une prodigieuse  accélération, doublant tous les retardataires avec une aisance déconcertante. Ces derniers semblent atteints d'une étrange léthargie et ont tout juste l'air de faire un footing ! Après 9 kilomètres dans les jambes à une allure démentielle, Zatopek trouve l'énergie de boucler le dernier kilomètre en 2'45 s ! Monstrueux. 

Coureur d'exception, Emil Zatopek marquera ces Jeux olympiques en réussissant, fait unique dans les annales des Olympiades, à gagner, en plus du marathon, les 5 000 et 10 000 mètres ! Une performance surhumaine.  




Bonus : 




- Deux extraits de la revue Peuple et Culture qui présente succinctement Olympia 52 et son idéal olympique.(PDF - 6p)


- Histoire du premier long métrage de Chris Marker, par Julien Faraut. (PDF -15p)


- Chris Marker, une vie, une œuvre. (France Culture 59mn Flac)


Kermite.


Lien : https://1fichier.com/?upkqzxm4cdc4s4gv05k4

TVRip (720 x 576 - 79mn- TS)

Le Voyage cosmique - Vassili Jouravlev 1936 Muet St fr

 



Synopsis :  Nous sommes en 1946, à Moscou, quand un vieux savant, son assistante et un tout jeune passager intrépide, s'apprêtent à décoller à bord d'une fusée géante. Direction, la Lune...





Réputé pour ses décors futuristes et sa vision plutôt réaliste pour l'époque des voyages spatiaux, le Voyage cosmique, réalisé en 1935 par Vassili Jouravlev avait de quoi satisfaire pleinement  l’amateur de SF et de Space Opera que je suis. Autant dire que j'avais hâte de voir l'un des fleurons du cinéma d’anticipation soviétique. Imaginez un peu ma déception quand je découvris que le film était flanqué d'une bande son franchement horripilante et détestable, qui m'a écœuré et coupé toute envie de le voir ! En fait, pour être tout à fait juste, j'ai trouvé trois bandes sonores... Toutes horribles ! 
Celle pour laquelle j'aurai peut-être le plus d'indulgence est la plus ancienne : un patchwork de musique classique, (Liszt, Beethoven) dont la sonorité, affreusement grésillante et crépitante, pourrait laisser croire qu'il provient d'un très vieux gramophone ! Les 78 tours ont leur charme, mais l’écoute est ici rédhibitoire ! 
À côté de cet enregistrement d'un autre âge, figure une musique résolument plus moderne, trop moderne, signée par un groupe de rock russe au nom peu ragoûtant de Mumiy Troll. Si le but était de satisfaire un large public, autant dire que l'objectif est raté, tant cette musique, composée de solos de guitare électrique insupportables, est une atrocité ! Je me demande vraiment comment ce film muet prestigieux a pu être affublé d'une musique aussi indigeste ? Quel gâchis ! Quel est l'intérêt d'éditer un film dans des conditions aussi médiocres ? Faire définitivement fuir un public déjà peu nombreux ? C'est réussi ! 
Pas au bout de mes surprises, j'ai découvert un troisième accompagnement musical, composé par Vetrophonia, et autant dire que celui-ci a fini par achever mon optimisme naturel… Ce duo musical, originaire de Saint-Pétersbourg, produit une musique avant-gardiste, expérimentale, ou rétro-futuriste, d'une abyssale monotonie et totalement inexpressive. Un gloubi-boulga électro-synthétique neurasthénique épouvantable ! Juste bon pour vous endormir !! 
Je m'étais donc résolu à jeter l'éponge, à me faire à l'idée que je ne verrai pas ce film, quand, à force de fouiner sur la Toile, un petit miracle s'est produit. Eureka ! J'ai fini par trouver la perle rare, car le film était aussi sorti dans la prestigieuse Edition Filmmuseum ! Cette édition m'avait jusque-là échappé ! Enfin une version qui fait mon bonheur !! La copie, pour ne rien gâcher, est de meilleure qualité, présentée, qui plus est, dans une version plus longue (1h19mn contre 1h05) et elle dispose, enfin, alléluia ! d'une bande son conforme à ce que l'on peut attendre d'un accompagnement musical pour film muet. C'est une partition orchestrale de Neil Brand, musicien spécialisé justement dans l'accompagnement musical des films muets. Une valeur sûre.
Je dois préciser que le DVD est en VO, c'est-à-dire avec des cartons en russe, sous-titrés en anglais et en allemand. Restait à trouver les sous-titres en français. Je les ai trouvés sur le site de muadidib-sc-fi, résolument tourné vers l'univers bariolé de la SF, et joyeusement animé par une armée de cinéphiles passionnés, partageant des films introuvables, jamais édités. Leur originalité tient dans leur volonté de créer eux-mêmes les sous-titres français, pour des films qui n'en disposent pour l'heure aucuns. (merci au passage à Bunkerghost pour les sous-titres !) Mais je n'étais pas au bout de mes peines, car, après moult essais infructueux, un constat malheureusement s'imposait : impossible de synchroniser les sous-titres ! Sans doute qu'ils étaient adaptés pour la version courte, et non pour la version longue. La poisse !
Je me suis donc imposé la synchronisation manuellement, guidé par ma patience. Sous-titre après sous-titre, j'ai réussi à en venir à bout, grâce notamment aux sous-titres anglais qui figuraient, eux, sur le DVD et sur lesquels je me suis calé. Ils m'ont heureusement facilité la tâche. Sinon, impossible de mener à bien le travail, étant donné ma connaissance de la langue russe... J’ai bien sûr opéré quelques modifications et un brin de toilettage : les coquilles ont été nettoyées et les imperfections gommées. (fâcheuse tendance à oublier les accents sur les e)
Résultat : un beau fichier de sous-titres flambant neuf, parfaitement synchronisé, qui m'a permis de regarder enfin ce film étonnant et naïf, dont la réussite repose en grande partie sur les compétences scientifiques, le savoir-faire et l'imaginaire de l'un des pères de l'astronautique et des fusées modernes : Constantin Edouardovitch Tsiolkovski.







Né en 1857 d'un père issu de la noblesse polonaise et d'une mère d'origine Tatare, Constantin Tsiolkovski n'a pas eu une enfance facile. Conséquence de la scarlatine contractée à l'âge de neuf ans, il fut atteint d'une surdité partielle, à la suite de laquelle il changea radicalement de comportement. Son handicap l'amena à se considérer comme un paria de la société. Du fait de son asociabilité, il fut expulsé de l'école à 14 ans. Il commença alors une vie d'autodidacte et développa très tôt des aptitudes pour les inventions, parmi lesquelles le cornet acoustique occupe une place de choix. Il se fera même construire une soufflerie à ses frais, premier laboratoire d'aérodynamique de Russie. 
Il se mit à étudier des journées entières, comme un forcené, les mathématiques, dans une bibliothèque de Moscou, où il y fit une rencontre capitale, celle du philosophe Nikolaï Fiodorov, dont le cosmisme et les convictions religieuses eurent sur le savant russe une influence déterminante. 


Dans l'Exploration de l'espace cosmique au moyen d'engins à réaction, Tsiolkovski a formulé, au début du 20e siècle, les principes fondamentaux qui permettent d'envoyer correctement une fusée dans l'espace, grâce notamment à l'équation énonçant les lois du mouvement d'un astronef. C'est le fonctionnement même d'une fusée qui est  ainsi mathématiquement décrit. 
Ses travaux ne reçurent aucune reconnaissance, sous la Russie Tsariste, de la part de l'Académie impériale des sciences, mais trouvèrent rapidement un écho favorable auprès du régime bolchevique, une fois ce dernier mis en place. On comprend aisément à quel point les fusées pouvaient intéresser l'Armée Rouge... 
Il faut dire que l'œuvre de Tsiolkovski regorgent d'idées géniales qui ont fait faire à la fuséologie des bonds de géant. Propulsion par réaction, utilisation d'oxygène liquide (au détriment de la poudre) du gouvernail gyroscopique, du train spatial... (1) Soit autant de trouvailles étonnantes, d'intuitions novatrices qui posèrent les bases scientifiques d'une astronautique moderne.
Mais au-delà de ses contributions scientifiques, Tsiolkovski était aussi un écrivain, dont la passion pour l'astrophysique s'exprima à travers des œuvres d'anticipation, partagées entre rêveries un peu folles et science mathématique. 
Car ce professeur de géométrie s'était passionné dès sa jeunesse pour les récits fantastiques et les voyages interplanétaires qui lui permettaient de mettre en scène ses idées. Il échafaudait des scénarios, des hypothèses, parfois fantaisistes et singulières qui, par une sorte de dialectique euphorisante, le stimulaient dans la conduite de ses travaux scientifiques, et l'amenaient à trouver des solutions mathématiques aux problèmes posés par son imagination. Il était intimement convaincu de l'utilité de faire découvrir ses idées au plus grand nombre, non par égoïsme ou narcissisme, mais parce qu'il était, au fond, persuadé que ses récits sur des futurs voyages cosmiques favoriseraient l'émulation intellectuelle et l'intérêt porté à cette nouvelle science qu'était l'astronautique. Et justement, le cinéma, à ce titre, pouvait grandement y contribuer !
Le 23 juillet 1935, dans la Komsomolskaïa Pravda, il écrivait : « Les récits fantastiques sur les vols interplanétaires portent les idées nouvelles dans les masses. Celui qui les écrit fait un travail utile; il aiguise l'intérêt, incite à une activité intellectuelle, gagne à ces grands desseins des partisans et des futurs réalisateurs ! »







Le Voyage cosmique est le fruit d'une collaboration difficile entre Vassili Jouravlev  et Tsiolkovski. En effet, en plus de présenter une surdité handicapante, le vieux savant, à près de 78 ans, était fortement diminué par un cancer de l'estomac, qui allait, hélas, l'emporter quelques semaines seulement avant la sortie du film sur les écrans.
Pour les besoins du scénario, Tsiolkovski expose en 1933 une ébauche de ses idées dans un carnet d'une trentaine de pages, qu'il nomme L'Album des voyages spatiaux. Ce cahier esquisse à grands traits ses idées sur les voyages interplanétaires. Par des croquis, des dessins, des annotations, il en vient à expliquer comment l'homme peut évoluer dans l'espace, et comment les effets de l'apesenteur doivent être pris en compte. La caution scientifique apportée par Tsiolkovski contribua grandement à la réussite de l'entreprise.

Il faut, bien sûr, souligner le travail fabuleux des peintres et décorateurs. Youri Shvet, Fiodor Krasne et Mïchael Tiunov ont réalisé de véritables prouesses, apportant un soin méticuleux au réalisme des décors. Je pense évidemment à la scène d'ouverture qui présente le complexe du lancement de tir, avec la ville de Moscou en arrière-plan. 

La rampe de lancement dans toute sa splendeur, avec sur la gauche le centre de recherche spatial, surmonté d'une représentation d'une fusée, et en arrière-plan, en forme de pyramide, le Palais des Soviets, construction pharaonique à la gloire de Lénine et du communisme. Les travaux avaient débuté en 1937, mais seront définitivement abandonnés après-guerre. C'est la cathédrale du Christ-Sauveur qui fut à sa place édifiée. On distingue, au fond, la ville de Moscou, en 1946.



Mais je pense aussi à la scène du hangar, où se trouve entreposée la fusée. Filmée dans un long travelling en stop motion, elle donne une incroyable impression de puissance et de force. 


Voilà une fusée qui en impose par son gigantisme, mais l'illusion de sa grandeur n'a été rendue possible que par la grâce et le génie des maquettistes. Car le mastodonte mesurait, en réalité, seulement 4 mètres de long... Et toutes les scènes ont été filmées en stop motion.




La fantaisie s'invite parfois à brûle-pourpoint et donne lieu à des situations délicieusement décalées. J'ai en tête cette scène un peu cocasse du vieux professeur Sedykh, s'empressant de faire sa valise (!) in extremis, juste avant de décoller pour la lune, en y jetant pêle-mêle, vêtements et vieux livres, et qui, dans la précipitation, en oublie l'essentiel : ses fameuses bottes de feutre, protection indispensable pour affronter les glaçantes -270° Celsius des nuits lunaires...! 


L'équipage, composé donc du vieux savant Sedykh, (on pense évidemment à Constantin Tsiolkovski), de son assistante, et d'un tout jeune passager intrépide, réussira l'exploit de poser la fusée sur la face cachée de la Lune ! 
Munis de leur scaphandre, et une fois délestés de leurs semelles de plomb présentes pour pallier la faible gravité lunaire, nos vaillants astronautes pourront partir gaillardement s'aventurer et découvrir le paysage rocailleux de la Lune en s'adonnant à d'irrésistibles sauts de batracien...! (2)


Les premiers pas de l'homme sur la Lune se feront avec des semelles de plomb dignes d'un équipement de scaphandrier ! La faible gravité lunaire pouvait laisser craindre que les astronautes ne s'envolent !  



Trois astronautes prêts à planter un drapeau sur la Lune, tiens, ça ne vous rappelle rien ?







Malgré son succès populaire, le film n'a pas été épargné par les critiques de l'époque, qui lui reprochaient notamment son manque de dramaturgie, le peu de psychologie, de caractères des personnages, et surtout, ce qui ne manque pas de toupet, son absence de souffle visionnaire ! Il me paraît incroyable de reprocher au film son manque d'ambition, alors que tout l'enjeu du film n'est rien de moins que l'accomplissement du plus vieux rêve de l'humanité ! Mettre en scène le premier vol sur la Lune est à mon sens la marque de la plus audacieuse ambition, et on pourra répondre à ces critiques, pour moi injustifiées, que le Voyage cosmique est justement un film précurseur dans la manière d'appréhender la conquête spatiale, dans l'idée de faire envoyer, de la façon la plus réaliste possible, des astronautes sur la Lune, mais peut-être encore davantage, dans la façon dont a été imaginé et conçu ce périlleux voyage. 


Décollage nocturne réussi pour la fusée.


Après une folle envolée, le deuxième étage de la fusée se sépare et file inexorablement  vers la Lune.


Retour du vaisseau sur Terre...en parachute,
 pile à l'endroit où la fusée décolla !
Quel timing !
 



La résolution des défis techniques a permis de poser les bases de l'astronautique, nouvelle science naissante, et les choix opérés par Tsiolkovski ont été d'une clairvoyance prémonitoire ! Ainsi, le retour sur Terre en parachute du vaisseau ou l'invention du train spatial, (1) montrent à l'évidence que Tsiolkovski maîtrisait intuitivement la conception des vols spatiaux. Je rappellerai tout de même que, à la même époque aux États-Unis, on en était resté aux aventures de Flash Gordon et Buck Rogers et qu'il a fallu attendre les années 50 pour voir fleurir des films d'anticipation aux idées particulièrement fécondes. 

Pour le réalisme socialiste, la portée symbolique d'un tel vol ne présente aucun intérêt. Aller sur la Lune sans rien y faire apparaît comme une hérésie, un non-sens politique. Il aurait fallu considérer cette entreprise hors-norme, comme l'expression d'une volonté politique, en lui attribuant des buts et des objectifs précis, prévoir de magnifiques plans quinquennaux, avec l'espoir de voir prospérer sur la Lune des industries métallurgiques, fleurir des usines de charbon. On aurait, ainsi, pu faire l'éloge de la révolution en marche, en louant, comme il se doit, les exploits stakhanovistes des astronautes ! 




Évidemment, comme il s'agit d'un film de commande réalisé en pleine ère stalinienne, les éléments idéologiques propres au communisme ne manquent pas. Les astronautes sont des "camarades" et la première fusée en route vers la Lune s'appelle Joseph Staline. La deuxième a pour nom Klim Vorochilov, décoré premier Maréchal de l'Union Soviétique par Joseph Staline. Le décor est planté...
Sla route vers les cosmos est encore longue, elle est désormais ouverte (les cosmos, dans la mesure où ce sont bien des mondes inconnus que l'homme est amené à découvrir par les voyages interplanétaires) et mise au service de l'utopie communiste.
Comment expliquer le fait surprenant, troublant, que le film sorti en 1936 soit muet ? Peut-être faut-il y voir un besoin de toucher  le plus large public possible. Sans doute, faut-il y voir aussi la volonté de faire enraciner dans l'esprit du peuple les bienfaits du progrès scientifique, de montrer que, finalement, ces escapades spatiales sont loin d'être inaccessibles, et qu'elles sont même à portée de main, puisque possiblement réalisables en 1946...  
Il s'agit donc d'exposer clairement aux masses laborieuses, la suprématie intrinsèque du socialisme. 

Pourtant, en 1936, étant donné l'état des connaissances techniques et scientifiques, il y avait peu de chances de susciter l'engouement du public pour les voyages spatiaux. Les Soviétiques avaient à l'époque d'autres priorités que de vouloir aller poser le pied sur la Lune...
Mais Tsiolkovski avait à cœur de sensibiliser le public à la conquête spatiale, de susciter le désir d'exploration, de découverte, amenant peu à peu la certitude que l'espèce humaine pourra quitter un jour la bonne vieille Terre, pour s'aventurer dans l'étendue infinie des horizons cosmiques. 
Les voyages interplanétaires sont ainsi perçus comme une finalité inéluctable et une ouverture vers une réalité inconnue. 
Justement, l'ossature et la structure du film sont bel et bien construites à partir des idées philosophiques du mathématicien et ingénieur Russe. Il s'agit de montrer comment l'humanité, par l'exploration et la conquête spatiale, peut dépasser son stade d'évolution et s'élever au-delà de sa condition. « La Terre, écrivait Konstantin Tsiolkovski il y a un siècle, est le berceau de l'humanité, mais on ne passe pas sa vie dans un berceau. » 

En définitive, le Voyage cosmique est un savoureux mélange de poésie, de naïveté et de rigueur scientifique, un mariage peu orthodoxe, de fantaisie et de pragmatisme scientifique, qui fait tout le charme de ce film d'anticipation, injustement tombé en disgrâce sous le régime soviétique, et qui mérite, à mes yeux, d'être impérativement réhabilité ! 





 Bonus : 




- Pour qui veut s'immiscer avec passion et abnégation dans les coulisses et la genèse du film de Vassili Jouravlev, je conseille vivement le site internet d'un passionné, qui lui a consacré un travail d'une ampleur impressionnante. Comment dire ? La somme d'informations est d'une richesse inouïe, avec extraits de lettres, photos, croquis, interviews, affiches, c'est monstrueusement détaillé, et d'une précision quasi-chirurgicale dans l'évocation des évènements qui ont conduit à la réalisation du film. Un fabuleux travail d'investigation qui m'a réellement impressionné. Je me suis évidemment servi, en partie, de ses précieuses informations.





 - Constantin Tsiolkovski : Le chemin des étoilesEditions en langues étrangères.1963. (PDF-508 p)
Un recueil des nouvelles fantastiques, parmi lesquelles on trouvera En Dehors de la Terre, dont le Voyage cosmique s'inspire.
La nouvelle de Tsiolkovski va bien au-delà de ce que le film propose. Car la finalité des voyages interplanétaires est bien la colonisation de l'espace, et sur ce plan, ce que propose l'ouvrage s'avère plus audacieux et visionnaire. Il envisage la mise en place d'une station orbitale autour de la Terre, capable d'utiliser l'énergie solaire. Il imagine un moyen astucieux fait de rideaux amovibles, recouverts d'une peinture blanc et noir, pour réguler la température à bord de la station. De même, pour subvenir aux besoins élémentaires des astronautes, il préconise la création d'une immense serre, où fruits et légumes poussent à profusion. Cette station spatiale sert de point d'ancrage pour l'exploration future des planètes lointaines, où l'exploitation des métaux rares susciterait l'implantation d'une véritable industrie. Parfois, ses prédictions s'avèrent un poil fantaisiste, comme ces montagnes de diamants et de rubis qu'il espérait secrètement trouver sur la Lune ! On peut toujours rêver..!.
Mais ce qui m'a peut-être le plus impressionné est la façon dont il imagine la vie des astronautes en apesenteur dans leur vaisseau spatial. Elle est d'une incroyable modernité, tant la description qu'il en donne correspond, en fait, à ce que vivent les astronautes à bord de l'ISS !  Les sorties extravéhiculaires en scaphandre, avec sas de décompression, sont décrites avec un réalisme bluffant, les astronautes étant attachés à un long câble de 1 km qui les reliait au vaisseau spatial et leur permettait de se déplacer à leur aise dans l'espace sidéral. Pour plus de sécurité, si jamais la corde cédait, leur combinaison était pourvue d'un dispositif leur permettant de se propulser et de rejoindre sans encombre le vaisseau spatial. Et dans le cas extrême où les astronautes se seraient tellement éloignés de leur vaisseau spatial qu'ils ne le verraient plus (!), il leur conseillait de prendre avec eux une...longue-vue ! Comme souvent, chez Tsiolkovski les idées scientifiques les plus sérieuses s'acoquinent sans mal avec un humour farfelu... !

-La pensée de Constantin Tsiolkovski (1857-1935). Du Cosmisme à la conquête spatiale, itinéraires d'une philosophie récupérée, de Kevin Limonier. (PDF-24p) Comment la pensée et la figure de Constantin Tsiolkovski ont été perçues depuis l'époque de la Russie Tsariste jusqu’à l’ère post-stalinienne. 

-Sur la route des étoiles, par Pierre Poix. Revue des deux mondes. Avril 2000. (PDF-8p) Un petit texte bien écrit reprend ici le thème de l'ascenseur spatial, cher à Constantin Tsiolkovski.
 
- Constantin Tsiolkovski et la conquête spatiale (PDF - 11p)



- Une critique pleine de pertinence du film, écrite par Jean-Luc Algisi : 




- Une liste des inventions de Tsiolkovski : 

 




(1) Le train spatial est appelé ainsi pour désigner la technique permettant à une fusée de décoller, en lui imprimant l'accélération nécessaire pour s'arracher à l'attraction terrestre. La fusée est assemblée, à la façon d'un train, de plusieurs étages accolés les uns aux autres, et disposant chacun d'une chambre à combustion autonome. Après avoir brûlé tout leur carburant, ils se détachent les uns après les autres, et à mesure que la fusée s'élève, l'entraînent vers une accélération progressive, jusqu'à atteindre la vitesse de libération lui permettant de s'arracher à l'attraction terrestre.
La fusée Saturn V, qui s'envola vers la lune le 16 juillet 1969, suivait ce principe.

(2) Première nouvelle publiée par Constantin Tsiolkovski en 1893, Sur la Lune évoque déjà, sous la forme d'un rêve éveillé, les effets et les sensations qu'un homme éprouverait en marchant sur la Lune. Tsiolkovski  envisage ainsi une démarche légèrement planante qui s'explique par la faible gravité et qu'il assimile, dans son imagination, au saut du grillon ou de la grenouille...! (p14)



Bibliographie sélective : 


Mécaniques du ciel de Tom Bullough.

- Constantin Tsiolkovski : sa vie, son œuvre, par Arkadi Kosmodemianski, Editions en langues étrangères (1957).

- Constantin E. Tsiolkovski, précurseurs des vaisseaux interplanétaires, par Philippe Bailhache, Pont Royal (1961)

Kermite.
  

Liens :  https://1fichier.com/?fb7hdaeb7rzdnbi62593

Remux DVD (720x576 - MKV, Muet, Cartons en russe, St fr, anglais, allemand) Les St fr sont à part.