À presque 100 ans, Tony Vaccaro fait partie des rares survivants d'Omaha Beach. Il y était en tant que fantassin et reporter de guerre. Pas dans les premières vagues du 6 juin 44. Il débarque le 20 juin 44 avec la 83ème division, muni du complet attirail du soldat et d'un appareil photo de la taille d'une main, un Argus C3 35mm, qu'il a appris à porter de façon peu orthodoxe, en bandoulière derrière son dos, et non devant, parce que les exigences des combats lui ont vite fait comprendre qu'en se plaquant régulièrement au sol, à plat ventre, son appareil ne ferait pas de vieux os.
Ses photographies sont un témoignage brut de ce que fut la guerre : elles nous la montrent sans artifices, dans toute sa crudité. Elles nous racontent les corps qui tombent. Tony Vaccaro les a vus et photographiés. Non, les soldats ne se jettent pas en arrière quand ils se prennent une balle en plein cœur, comme dans les westerns, où ils sont filmés dans des postures invraisemblables pour célébrer leur héroïsme. La réalité, c'est que, sous les balles, les corps s'écroulent lourdement.
C'est avec son Argus caché sous sa veste qu'il réalise la première photographie clandestine des côtes françaises, prise à bord du Liberty Ship, juste avant qu'il mette le pied sur les plages normandes. La première d'une longue série, puisque ce sont, au final, près de 8 000 clichés qu'il réalise tout au long de sa campagne militaire qui le conduira jusqu'aux portes de Berlin.
Avec sa chevelure argentée et ses grandes lunettes, Tony Vaccaro distille une impression de sérénité et un charisme naturel qui m'ont subjugué. Je pourrais rester des heures à l'écouter, tellement ses paroles sont prenantes. Obnubilé par les traumatismes d'une guerre, que le poids des années n'a jamais effacés, Tony Vaccaro reste, encore aujourd'hui, hanté par ces visions d'horreur dont il fut témoin. Plus précisément, par l'odeur de la guerre, celle des corps putréfiés, avachis par la mort, dans des postures parfois insolites. Ici se posent justement les frontières morales auxquelles chaque photographe est personnellement confronté : peut-on tout montrer, tout photographier ?
Ce fils d'immigrant italien ne mâche pas ses mots sur cette guerre traumatisante qui l'aura contraint à faire ce qu'il s'est toujours senti incapable de faire : tuer des hommes. Il y a cette scène bouleversante, où il avoue que, pendant la bataille de Normandie, dans le bocage normand, à Sainteny, il a jeté son fusil devant l'arrivée des Allemands, pour se terrer dans un trou au sol, par peur, par lâcheté. L'espace d'un instant, il refusa le combat. Mais pour se reprendre juste après, et faire ce pour quoi il s'est jusque-là préparé : la guerre.
Orphelin dès l'âge de cinq ans, Tony Vaccaro sera recueilli par un oncle dans les Abruzzes, en Italie. C'est lui qui va l'initier à la chasse, et le mettre dans les mêmes conditions où il sera appelé plus tard sur le terrain de la guerre. De ces parties de chasse, Tony Vaccaro retiendra l'instinct du chasseur, celui qui l'amène à viser et à tirer avec une précision diabolique, en un quart de seconde. À l'égal du chasseur, le photographe reste à l'affût de sa proie qu'il traque. Pour prendre une bonne photo, il faut dégainer son appareil au bon moment
Quand, près de 50 ans plus tard, Tony Vaccaro revient sur les lieux où les photographies ont été prises, avec les mêmes témoins d'époque, le documentaire prend soudain une irrésistible bouffée de tendresse et d'émotion.
Bonus :
- Le Figaro Magazine du 8 mai 2015 (PDF - 5p)
- Le Monde du 30 juin 2020 (Jpg) : critique du documentaire.
- Tony Vaccaro. Photographie.1944-45. Archives départementales d'Ille et Vilaine. (PDF - 160p) Un superbe livret qui fait le récit de sa campagne militaire, des plages de Normandie jusqu'à l'Elbe, en Allemagne. Avec un panel de ses photographies. Certaines sont d'une crudité presque irréelle. Elles sont là pour nous interroger, nous interpeller, comme ces cadavres de soldats allemands allongés au sol, avec des photos éparpillées autour d'eux, comme autant de souvenirs familiaux, dernier fil ténu qui les reliait encore à leur famille, à leur femme, à leurs enfants. Symboles d'une vie gâchée. Des vies perdues inutilement. Des vies jetées en pâture sur l'autel de la guerre.
D'autres photos sont au contraire d'un fol espoir, comme le Baiser de la Libération, pris lors de la libération de Saint-Briac. On y voit un G.I., s'agenouiller devant une petite fille, elle aussi à genoux, pour lui offrir un baiser. Tony Vaccaro racontera la genèse de cette photo qui l'aura rendu célèbre. Quand les premiers Américains arrivèrent à Saint-Briac, en Bretagne, ils vinrent facilement à bout des derniers soldats allemands. Arrivés sur la place du village, il n'y avait pas âme qui vive, tout le monde s'étant barricadé. D'un seul coup, tous les villageois sont sortis de chez eux pour acclamer les libérateurs. Au son d'un accordéon festif, la foule en liesse a soudainement improvisé une farandole. Une ronde se crée, on danse, on chante, et dans cet élan de ferveur populaire, se met en place «la danse du mouchoir». Munie d'un mouchoir, une personne danse, les yeux bandés, au milieu de la ronde, et choisit sa partenaire en la touchant. Elle pose ensuite le mouchoir à terre, au milieu, et doit embrasser son partenaire pour faire honneur à la vigueur de sa flamme.
Quand les mains de la petite Noëlle se posèrent sur le Sergent Gene Constanzo, Tony Vaccaro a juste eu le temps de s'approcher pour immortaliser ce baiser, dont le symbole et l'innocence feront le tour du monde.
50 ans plus tard, Tony Vaccaro retournera sur les lieux, pour y retrouver les seuls témoins encore en vie de cette photographie : les deux sœurs figurant en arrière-plan de la photo, Simone et Marie-Thérèse. Des retrouvailles chaleureuses et hautement émouvantes.
Kermite.
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