Helmut Käutner est
un sacré réalisateur, et au vu de la qualité de ses
productions, je m'étonne que cette figure majeure du cinéma
allemand, n'ait pas à ce jour rencontré à travers le monde, une
aura et une renommée internationales. Très peu de livres écrits
sur lui, pas la moindre biographie traduite en français. Certes, sa
filmographie ne vaut pas celle d'un Raoul Walsh, ou d'un
Michael Curtiz, et ne saurait rivaliser avec certains cadors
du cinéma hollywoodien. Je trouve néanmoins que ses films sont
largement sous-estimés, et passés sous silence, alors qu'ils
mériteraient une bien meilleure audience. Parmi ses plus beaux
joyaux, je citerai volontiers La Paloma, Romanze in Moll, ou
encore, Sous les ponts, soit autant de films élaborés entre
1941 et 44, pendant les pires années de guerre...
Ses premières armes,
Helmut Käutner les fait au théâtre dans les années 30, en
tant que scénariste et acteur. Il monte notamment des classiques du
répertoire français : Sartre, Giraudoux, Cocteau... À la
fois auteur, décorateur, producteur et chansonnier, Helmut
Käutner fut un véritable touche-à-tout, avant de réaliser
son tout premier film en 1938. Pas vraiment la meilleure période en
Allemagne pour débuter au cinéma, et entamer une carrière de
réalisateur…
Mais justement, les films
que Käutner a tournés pendant la guerre, ne sont pas
traversés par des élans patriotiques. Ce ne sont pas des hymnes
béats à la gloire du soldat nazi, et ils ne se veulent en aucun
cas, le chantre d'un cinéma gangrené et travesti par la propagande
de Goebbels. Non, ils se présentent plutôt comme des
rêveries enchantées, d'où les réalités de la guerre sont
étrangement absentes. Ce qui intéresse Helmut Käutner, ce
sont les destins dans leur singularité, la vie des individus pris
dans l'étau des passions humaines.
Voilà ce qui me fascine,
au fond, dans ses films tournés dans la tourmente de la guerre, dans
un troisième Reich baigné par l'idéologie nazie, c'est de
constater comment les prérogatives idéologiques, esthétiques et
morales imposées par Goebbels dans la propagande
cinématographique, n'ont eu finalement sur lui, que peu d'emprise,
pour ne pas dire aucune.
Voilà qui détonne et
relève presque de l'authentique exploit dans le paysage
cinématographique allemand, alors sous la férule de son Ministre de
la Propagande.
Voilà qui démontre en
tout cas que le personnage avait du caractère, de l'intelligence et
sûrement une âme de poète qui lui a permis d'échapper pendant ces
années noires, à la vindicte de Goebbels.
Romanze in Moll,
qui sera exploité en France sous le titre de Lumière de la nuit est un mélodrame sublime, un film d'époque admirablement
reconstitué et animé par une affriolante galerie de personnages.
Nous sommes dans le Paris du 19ème siècle et l'histoire s'inspire
librement de la nouvelle de Maupassant, Les Bijoux, dans
laquelle l'écrivain brosse le portrait d'une bourgeoise obnubilée
par ses bijoux d'apparat, et dont le mari, peu soupçonneux et naïf,
ignore la vraie valeur sentimentale et financière...
Cette satire de la bourgeoisie trouve chez Käutner un ton moins incisif, mais un
souffle plus tragique.
Après le tristement
mémorable, Jud Süß, qui aura tragiquement marqué la
carrière de l'acteur Ferdinand Marian, celui-ci joue en 1942
dans Münchhausen de Josef von Baky, et fait une
apparition remarquée dans la figure historique du Comte de
Cagliostro. Il en donne une interprétation saisissante,
envoûtante. Dans le film de Käutner, Lumière dans la nuit,
sa prestation est de la même trempe. Libre, inspiré, séducteur, il
possède la légèreté, l'insouciance, la fougue du chef d'orchestre
et compositeur, en proie aux éternels tourments de la création et
de l'amour.
Avec ses petites lunettes
rondes et ses airs gauches, Pierre Dahlke compose un banal
employé de banque sans ambition et endosse à merveille le rôle de
l'époux grippe-sou, pusillanime et casanier. Sa vie de petit
fonctionnaire de la finance, sans envergure et sans relief, est
réglée comme du papier à musique. Sa passion pour le jeu et les
cartes constitue le seul moment de sa vie où il espère briller par
la chance, et gagner, en passant, un peu d'argent, histoire d'offrir
à sa femme de quoi s'acheter quelques babioles.
On comprend un peu mieux
pourquoi sa femme, Madeleine, magistralement interprétée par une
Marianne Hoppe ennoblie dans sa fragilité, se satisfait assez
mal de cette vie routinière et terne. Elle est la pierre angulaire
de ce drame amoureux. Avec ses faux airs de Michèle Morgan,
l'actrice possède un visage d'une beauté angélique, et porte sur
ses frêles épaules le poids de ses incertitudes sentimentales.
Issue du théâtre,
Marianne Hoppe fait partie des comédiennes starifiées et adulées
par le régime nazi. En 1936, Das magazin, journal people de
l'époque, la présentait comme l'égérie des nouvelles stars
montantes du cinéma, "symboles des temps nouveaux, saines de
corps et d'esprit."
Après la guerre, Marianne
Hoppe délaissa le cinéma pour se consacrer presque uniquement
au théâtre. Cette grande Dame du théâtre monta une dernière fois
sur les planches à l'âge de 88 ans, avant de s'éteindre en 2003, à
l'âge de 93 ans.
Dans le grand bal des acteurs, je ne veux surtout pas oublier Siegfried Breuer, qui
réussit, dès sa première apparition, à instiller, sous ses faux
airs de dandy, une sourde inquiétude, déployant sensiblement,
insidieusement, progressivement, l'ombre d'une menace indéfinissable,
un, je ne sais quoi de malsain qui va donner toute la mesure à ce
drame bourgeois.
Au même titre que
Hitchcock, qui faisait dans chacun de ses films une apparition
furtive en forme de clin d'œil, Helmut Käutner pouvait, dans
les siens, se tenir tout aussi bien devant la caméra, en jouant des
petits rôles. Vous pourrez ainsi admirer ses talents de comédien
dans Romanze in Moll, il y joue un poète joyeusement décalé
et inspiré.
Cinématographiquement,
Käutner a un style vraiment personnel et un sens aigu de la mise en scène, avec
des mouvements de caméra d'une étonnante fluidité. La séquence
d'ouverture est à ce titre éblouissante. Procédant par flash-back,
l'intrigue gagne en profondeur, avec des scènes d'une réelle
ampleur. Il y a des moments d'une maîtrise impressionnante. La scène
du train, par exemple, offre un suspense quasi-hitchcockien.
Une dernière remarque encore :
revenant comme un leitmotiv, les reflets à travers les miroirs, ou
autres surfaces réfléchissantes, sont comme autant de mises en
perspective et de fenêtres ouvertes vers une réalité amplifiée. Ou bien Helmut Käutner veut-il brouiller les pistes en insinuant que cette réalité formelle, esthétisée, a plus de poids et de sens que le monde réel...
Pour moi aucun doute, avec
Romance in Moll, Helmut Käutner tient là son chef-d'œuvre,
et entre bien dans la cour des grands.
Bonus personnels : (à
consulter, ou à lire de préférence après avoir vu le film)
- Les bijoux de
Maupassant (Pdf-4p)
- Cahiers du Cinéma :
Käutner le Dandy par Louis Marcorelles (juillet 1957) : celui-ci en revenant sur la filmographie de Käutner, a cette
formule lapidaire mais tellement vraie : les films d'Helmut
Käutner “affirment la suprématie de l'évasion sous toutes
ses formes.” Je crois qu’on ne peut pas mieux résumer.
(Pdf-4p)
- La revue du Cinéma
(avril 1948) : Nouveaux visages du cinéma allemand par
Liliane Delysan. Les articles consacrés à Helmut Käutner
ne sont pas légion. Alors mieux vaut savourer le peu dont on
dispose. En 1948, Liliane Delysan en brossait un portrait
attachant et révélait au public un talent artistique déjà presque
oublié, à une époque où la dénazification venait officiellement
de prendre fin, en février 1948. (Pdf-8p)
- Propagande et cinéma,
un chapitre puisé dans le volumineux, mais passionnant, Une Histoire du cinéma allemand : la
UFA, de Klaus Kreimeier. (Pdf-18p)
- Histoire du cinéma
nazi de Francis Courtade et Pierre Cadars : présentation
du film, Romanze in Moll. (Pdf-2p) Je ne partage pas toujours
leur sévérité et leur intransigeance, mais leur imposante
monographie sur les films de la période nazie, reste toujours, quoi
qu'on en dise, incontournable. (Pdf -2p)
- Ciné Mondial 1943
: les grandes lignes du scénario du film y sont présentées . (Pdf
- 1p)
- Le cinéma allemand
sous Hitler, de
Nathalie De Voghelaer : Un chapitre exclusivement consacré à la
signification du terme, trop souvent galvaudé, de propagande. (Pdf -
5p)
Car, au fond, qu'est-ce
que la propagande ? On croit à tort, parce que l’Allemagne nazie
en a fait un Ministre, que le terme de propagande vient de cette
époque, comme si personne avant Goebbels n'en avait saisi le
sens...
Une analyse étymologique
du mot nous fait assez vite comprendre que la propagande vient du latin,
propagare, qui signifie propager. La propagande a donc comme signification plutôt étendre, agrandir, que convaincre ou influencer…
Nathalie De Voghelaer
développe la thèse selon laquelle, la propagande, sous Hitler,
signifie moins influencer les masses, que répandre et propager une
opinion, une pensée unique, en vue de la construction d'un monde
nouveau, ce Reich de 1000 ans, dans lequel émergera un nouveau
modèle d’homme allemand, basé sur un certain style de vie lié à
un système de valeurs. D'ailleurs, comme le dit très justement
l'auteur, si le cinéma est un instrument utilisé à des fins
idéologiques, s’il doit exalter le nationalisme, et favoriser la
soumission du peuple au pouvoir, tout l'art de la propagande est de
ne pas la rendre visible. In fine, un bon film de propagande est un
film où on ne la voit pas, où on ne la devine pas. La subversion
est à ce prix.
Kermite.
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