jeudi 9 février 2023

Dans le secret des Bleus - Web 1080p - 81mn










Les documentaires d'Adolphe Drhey possèdent l'étrange beauté des vieilles demeures, construites par des mains calleuses, que le prix de l'effort n'effraie pas. C'est un travail de longue haleine, pareil au labeur du tailleur de pierre sculptant dans le marbre et la roche, de mystérieuses arabesques architecturales. L'ouvrage ainsi obtenu, semble gagner au fil des années un pouvoir de séduction ennobli par la patine du temps.

Je sais, au fond, ce qui m’attire dans les documentaires au charme délicieusement suranné d'Adolphe Drhey. Un parfum irrésistible qui trouve en moi une résonance particulière et me ramène immanquablement à mon enfance. Parce qu'ils réussissent à faire  revivre une histoire, ressuscitent une époque et éveillent en moi des souvenirs lointains, des émotions perdues, miraculeusement retrouvées. C'est un sentiment indéfinissable qui me gagne à chaque fois que ressurgit du passé la saveur de mes premiers émois. Dans le secret des Bleus, possède ce pouvoir magnétique qui agit sur moi comme un charme.

Sans doute que ma passion pour le football me renvoie à ces premiers tremblements de l'enfance dont je garde la nostalgie. Je repense à ce qu'a écrit Olivier Guez dans Une passion absurde et dévorante. Écrits sur le Football . En amoureux du football, il y affirme justement que «[l]'amateur de football est un être nostalgique (...). Le football lui rappelle son enfance, les parties disputées dans la cour de récréation avec une balle de tennis, comme les gamins des favelas (...), les matchs sur les terrains de handball en béton du lycée entre deux cours. Il le renvoie à l'innocence de ses premières années, lorsqu'il vénérait pieusement ses idoles (Platini, Zico, Rocheteau; les gardiens Dropsy et Zoff; Maradonna, Maradonna au Mondial 1982 en Espagne) et ne ricanait pas encore ni ne doutait de la pureté des Dieux du stade. L'aficionado se souvient du choc de sa première Coupe du monde, pour toujours la plus belle de sa vie. Pendant un mois, il a gardé les yeux rivés sur le téléviseur familial, hypnotisé par les stades et les pelouses chamarrées, par ce ballon qui aimante soudain et les médias et les discussions autour de lui, ce ballon que se disputent les nations comme si c'était le plus précieux diamant du monde.» (1)


Oui, je garde la nostalgie de cette époque, parce que le foot a rythmé et embelli mon enfance. Je collectionnais les vignettes Panini avec autant de dévotion et d'amour qu'un enfant de chœur ses premières images de communion. Elles me racontaient des histoires, dont les héros avaient pour nom Platini, Giresse, Rocheteau, Dropsy, Lacombe et tant d'autres... Je me créais, grâce à elles, des matchs imaginaires en faisant vivre à mes vaillants guerriers du ballon rond, des exploits sportifs dignes des jeux du cirque.


Je tenais à cette époque un grand cahier que je chérissais amoureusement et dans lequel je prenais soin de coller des coupures de journaux marqués par l'actualité footballistique aussi bien régionale que nationale. Fruit d'une passion naissante, il possédait à mes yeux autant de valeur qu'une relique sacrée. C'était un mélange surprenant, parfois surréaliste, de photos et d'articles auxquels je joignais scrupuleusement, presque religieusement, mes impressions et sentiments personnels. Je n'avais aucune sensibilité artistique particulière, contrairement à la plupart de mes camarades, qui dessinaient, peignaient, ou écrivaient avec un talent que je leur enviais secrètement. Seul le foot me passionnait et ce journal intime, ignoré de tous, faisait toute ma fierté. Je suivais le Championnat de France et le parcours des Tricolores avec une assiduité que mes professeurs auraient plutôt aimé me voir afficher dans ma scolarité...

Cette équipe de France, qui sortait d'une longue période d'hibernation à l'orée des années 80, me faisait bougrement rêver. Les Platini, Giresse et Tigana ont été, bien avant Michel Strogoff et Goldorak, mes vrais héros, de chair et d'os, auxquels je m'identifiais avec passion.


Inscrit dès l'âge de 10 ans dans un club de foot, j'ai joué dans une équipe de District, perdue obstinément dans les abysses du classement. Chaque année, nous descendions toujours plus bas. De vrais nullards. J'allais à l'entraînement comme un mort de faim me défoncer, et revenais chez moi rincé, épuisé, laminé, les cuisses en feu. Le dimanche, jour du Seigneur, je délaissais les bancs de l'église pour mettre en pratique les enseignements du coach. Autant dire que la leçon était dure à avaler, tellement on se prenait régulièrement de sacrées déculottées. Des scores fleuves qui nous filaient le bourdon.

Notre déroute sportive jetait sur nous un sentiment de honte. Unis dans l'adversité, nous ravalions notre fierté, et quand il nous arrivait de mettre, enfin, un but, nous tenions-là notre exploit, et fêtions l'événement comme si nous revenions vainqueur de la Coupe de France, trophée sous les bras, portant au pinacle notre valeureux buteur ! Pourtant, sur le terrain, on ne manquait pas d'enthousiasme. Quelle énergie ! On cavalait, courait, sautait, galopait comme des lapins endiablés... Surtout après le ballon !

À notre décharge, il nous arrivait souvent de jouer les matchs à seulement 8 ou 9 joueurs, parce que nous avions toutes les peines du monde à former une équipe au complet. Certains préféraient flemmarder au plumard, bien au chaud sous la couette, plutôt que de braver le froid, la pluie, et se coltiner des terrains transformés en piscine olympique. Le coach n'appréciait vraiment pas ce repos dominical improvisé. Il le faisait savoir aux intéressés l'entraînement suivant les matchs, et la sanction, implacable, impitoyable, s'abattait comme un couperet pour les fautifs : une intense et rébarbative séance d'abdos et de courses pour expier dans la douleur cette fâcheuse oisiveté.


Je n'ai jamais eu l'âme d'un buteur, je me souviens, malgré tout, de la jubilation après mon premier but. Un tir foireux à trois mètres seulement de la ligne de but finissant, je ne sais comment, miraculeusement, entre les jambes du gardien. Un chef-d'œuvre baroque d'une inspiration surréaliste, qui avait toute sa place à vidéo gag, et résumait à lui seul l'incongruité de mon talent. Pas étonnant avec ça que ma carrière de footballeur n'ait pas eu l'envol escompté...

J'ai pourtant goûté fugitivement à la gloriole du footballeur, celle qui inspire tant la gent féminine. Je n'étais pas du genre à parader et à exhiber le fruit de mes conquêtes féminines, puisqu'il n'y en avait aucune. J'étais aussi maladroit avec les filles que devant les cages pour marquer un but, mais je me suis rendu compte, presque étonné, qu'envisager une carrière de footballeur pouvait bien aider à conquérir le cœur des demoiselles.

J'avais repiqué ma 5e et j'étais, à mon corps défendant, auréolé du prestige de l'ancien taulard devant purger sa peine. Car j'assimilais le collège au bagne pour la rigueur du travail exigé, et l'absence d'intérêt que je portais aux matières intellectuelles, avait fait naître en moi un vague sentiment d'inutilité. Voilà pourquoi je décidai, cette année-là, de passer le concours de Sport-étude, prenant mon avenir à bras-le-corps. Je me fixais un cap, un objectif, afin de réaliser mon rêve inavoué : devenir footballeur professionnel.

Dans ma classe, une fille s'est subitement entichée de moi : elle s'appelait Naëlle, une douceur dans la voix et de longs cheveux noirs filaient langoureusement sur ses épaules. Un jour, elle m'a demandé, de but en blanc, si je voulais sortir avec elle. Si je voulais sortir avec elle ? J'en suis resté tout penaud, les bras ballants. Dans ma grande naïveté, je ne savais même pas ce que cette interrogation laissait concrètement entendre. N'ayant jamais eu la moindre expérience avec les filles, je n'en menais pas large, j'étais comme paralysé, écrasé par une timidité maladive. Je débarquais de ma campagne avec, pour seul bagage, une éducation religieuse plutôt stricte. Autant vous dire que j'ai reçu de plein fouet cette invitation tombée du Ciel.

Elle s'était prise d'admiration pour le futur footballeur que j'envisageais de devenir, et voulait m'encourager, me supporter, assister à tous mes matchs. Elle était prête à me suivre, coûte que coûte, comme si sa vie en dépendait. Et moi, j'avais honte bien sûr, je ne voulais surtout pas qu'elle assiste aux naufrages répétés de mon équipe, qu'elle me voit folâtrer comme une âme en peine sur la pelouse, et qu'elle constate de visu dans quelle drôle de galère je voguais chaque dimanche. Mais sa détermination à vouloir me suivre m'avait stupéfait. J'osais à peine croire une telle idylle autour d'un ballon rond possible.

Ma bluette d'adolescent est restée lettre morte. Ma timidité, l'inexpérience, la maladresse, m'ont fait manquer l'occasion de vivre mes premiers émois sentimentaux.  

Et mon aspiration à devenir footballeur professionnel a fait pschitt, j'ai lamentablement échoué aux épreuves de sélection, mesurant avec lucidité la distance qui me séparait des meilleurs joueurs. Mais j'ai gardé au fond de moi cet inextinguible amour du football, cette foi irrationnelle dont tous les aficionados sont animés.


Voilà pourquoi j'apprécie tellement Adolphe Drhey. Il a le don de faire aimer le football, parce qu'il sait en extraire toute son humanité, et qu'il s'attache aux hommes qui le font, à leurs faiblesses, leurs doutes, leurs espoirs et leurs rêves. Les documentaires qu'il consacre à l'histoire du football français sont un peu les temples de notre mémoire collective. Une merveilleuse histoire qui raconte comment la France est devenue, au fil du temps, une véritable nation de football. Son premier fait d'armes commence en 1958, en Suède, pendant la Coupe du monde, où elle réussit à se hisser jusqu'en demi-finale.

Le talent de Raymond Kopa et de Just Fontaine ne pourra malheureusement rien contre la fougue du Brésil et les dribbles endiablés du jeune Pelé. Mais elle signe sa meilleure performance et termine à la troisième place en battant la RFA dans la petite finale. Dans Vingt ans après : 1958-1978 Adolphe Drhey montre comment les héros de Suède ont inspiré et guidé la nouvelle génération emmenée par Michel Platini. Quand les deux générations se rencontrent, la filiation prend corps naturellement dans un respect mutuel. Le destin de cette équipe de France se forge dans la continuité d'une tradition et le respect de ses valeurs. Ainsi, mieux armée pour se projeter dans l'avenir, elle peut aborder le Mondial 78, en Argentine, dans les meilleures conditions.


Le cinéaste s'intéresse bien plus longuement à la magnifique équipe de France des années 80, qui s'est brillamment illustrée au cours du Mondial 82 et 86, et qui est devenue championne d'Europe en 1984.(3)

À mon sens, Adolphe Drhey inaugure ici une tradition qui se poursuivra, des années plus tard, avec Les Yeux dans les Bleus (1998) et Les Bleus 2018 : au cœur de l'épopée russe (2018 ), deux documentaires dont les auteurs, Stéphane Meunier, pour le premier, Emmanuel Le Ber et Théo Schuster pour le second, retracent à vingt ans d'intervalles, la marche euphorique et victorieuse de l'équipe de France de football en Coupe du monde.




En 1986, il réalise Dans le secret des Bleus, qui retrace le parcours exceptionnel de l'équipe de France au Mondial 86, en mettant soigneusement en avant les coulisses de cette formidable aventure.

Nous sommes donc en 1986, et cette année-là, la Coupe du monde a élu domicile au Mexique, au son des mariachis et sous une chaleur accablante. C'est une équipe de France sereine et expérimentée, forte de son titre de championne d'Europe, qui débarque en terre mexicaine. Conscient d'être un privilégié, Adolphe Drhey qui a déjà vécu à leurs côtés pendant l’Euro 84, (2) accompagne les joueurs au Mexique, et se glisse comme il le dit lui-même, telle une petite souris, dans leur intimité, pour finalement ne plus les lâcher d'une semelle, et devenir leur confident et complice. Que ce soit sur le terrain, dans les vestiaires, aux entraînements, ou pendant les matchs, la caméra suit, pas à pas, le cheminement conquérant de la bande à Platini, et nous fait découvrir une chaleureuse équipe de France, festive, ouverte et confiante. Sur le terrain et sous la houlette de son entraîneur, Henri Michel, elle réussit à déployer un jeu collectif impressionnant. En revoyant certaines séquences de jeu, j'ai été surpris par les qualités techniques et la créativité de jeu, offertes par cette équipe de France, adepte du beau jeu cher à Michel Hidalgo. Point culminant de l'épopée mexicaine : ce quart de finale épique contre le Brésil, qui restera pour moi, avec le cauchemardesque France-RFA de 82, le plus beau match que l'équipe de France ait jamais réalisé.


Plus qu'une chronique sportive, c'est une aventure humaine et collective qui se dessine progressivement. C'est aussi une rencontre avec un pays et ses traditions. Par sa curiosité, Adolphe Drhey fait office d'éternel voyageur, nous faisant découvrir cette terre mexicaine aux saveurs exotiques, accompagnant les joueurs à la rencontre de ses habitants pour les initier à l'exubérance de leur culture. Aujourd'hui, on imagine assez mal notre DD national, en guide touristique pendant la coupe du monde en Russie, emmener ses ouailles visiter la basilique Sainte-Sophie ...!

Cette équipe fait preuve de beaucoup de sérieux et de professionnalisme. Il faut voir comment Alain Giresse bichonne sa panoplie de chaussures soigneusement rangées les unes à côté des autres, afin de choisir la bonne paire, le jour J, celle avec les bons crampons. C'est une Coupe du monde éprouvante physiquement, où la chaleur et l'altitude obligent les joueurs à recourir fréquemment à l'oxygène.

L'idée originale d'Adolphe Drhey est d'avoir fait visionner son documentaire réalisé pendant la Coupe du monde au Mexique en 1986, aux joueurs de l'équipe de France 98, pratiquement la veille de leur finale du 12 juillet 1998 contre le Brésil, pour en recueillir les réactions à vif, et mettre à nu les émotions et les souvenirs de chacun. Comme un effet miroir, le regard porté par la génération des Zidane, Djorkaeff, Guivarc'h, permet de multiplier les angles de vue, et de mesurer l'impact que cette ancienne équipe de France a pu avoir sur leur carrière de footballeur. On peut dire qu' Adolphe Drhey a eu le nez fin sur ce coup-là ! Car, à la veille de leur finale, ce travail d'introspection leur a sans doute permis de se recentrer sur eux-mêmes, de mieux apprendre de certaines erreurs du passé, pour finalement réussir là où leurs aînés ont échoué.

Sur le toit du monde.

P S : petit bug sans gravité à la 77éme minute, dû à l'instabilité de ma connexion internet, le documentaire étant enregistré sur le site madelen.ina grâce à un logiciel de capture vidéo.




(1)Une passion absurde et dévorante. Écrits sur le Football, de Olivier Guez. Editions de l'Observatoire.2021.

(2)Une équipe de rêve : les bleus, l'épopée de 1984 de Adolphe Drhey.

(3) Avec notamment, la Merveilleuse aventure du football français.1984




Bonus :


- Vingt ans après : 1958-1978. Adolphe Drhey.1978.( Web - MKV - 42mn - 1920X1080 - INA)


Réalisé pour les Dossiers de l'écran, consacrés au football, ce documentaire d'Adolphe Drhey ravivera de (très) vieux souvenirs, c'est certain. C'est qu'on y voit l'équipe de France de Football du temps de sa gloire et de sa splendeur, je veux bien évidemment parler de celle qui s'est brillamment illustrée pendant la coupe du monde 1958, ne perdant qu'en demi-finale, face à l'ogre Brésilien, où un certain Pelé s'est majestueusement révélé du haut de ses 17 ans... C'est la rencontre entre ces deux équipes de France, celle qui s'apprête à partir pour l'Argentine en 1978, et celle de leurs glorieux aînés, qui est ici évoquée. Quand la nouvelle génération, emmenée par Michel Platini, retrouve l'ancienne, la jonction entre ces deux époques donne lieu à des retrouvailles émouvantes. Les images d'archives nous replongent avec bonheur, dans cette époque aujourd'hui si lointaine. Comme cette séance photos organisée pour l'équipe de France en Angleterre en 1966, pendant la coupe du monde. On y reconnaîtra aisément un certain Robert Herbin dans la fine fleur de l'âge. On se délectera aussi de quelques-uns des plus beaux buts de l'équipe de France, pendant la Coupe du Monde 1958. Galvanisée par son buteur fétiche, Just Fontaine, elle pourra se targuer d'avoir mis pas moins de 23 buts pendant la compétition...! Le documentaire réussit à capter des moments pris sur le vif, comme cette séance d'entraînement, où l'on voit l'entraîneur Michel Hidalgo parler tactique et demander l'avis de ses attaquants pour leur prochain match officiel : lesquels auraient envie de débuter ?! Autre époque, autre mœurs... On retrouve encore Michel Hidalgo haranguant ses troupes aux vestiaires, à la mi-temps d'un France-Brésil amical et sermonnant fermement Didier Six, en lui intimant l'ordre de s'asseoir pour se reposer, arguant qu'il aura tout le loisir de se dépenser pendant la deuxième mi-temps...

Bienveillant et affectueux envers ses joueurs, Michel Hidalgo savait aussi, quand il le fallait, faire preuve d'une autorité naturelle !


Kermite.


Lien :


Dans le secret des Bleus - Web 1080p - 81mn




Vingt ans après : 1958-1978 - Web 1080p - 42mn