Dès les premières images, The Thief of Bagdad pose les jalons d’une histoire dont on sait qu’elle finira bien. Tout est déjà couru d'avance, la princesse retrouvera son cher et tendre amoureux, malgré les intentions malfaisantes d'un vizir aux pouvoirs magiques. La recette est simple, mais la sauce prend à chaque fois. Finalement, peu importe que l’on sache que tout finira bien, l’essentiel est ailleurs. Dans le panache et la flamboyance des couleurs, qui offrent un spectacle visuel éblouissant. Voilà un plaisir des sens étourdissant auquel la magie du cinéma nous convie. Tourné en Technicolor, le film offre une impressionnante panoplie de tons multicolores, prêts à enflammer vos pupilles, et desquels émane une poésie naturelle, incroyablement vivante. Les palais sont d'un parme affriolant, les cieux d'un bleu azur d’une profondeur affolante. Soit dit en passant, vous pourrez jouir du spectacle merveilleux d'un défilé d'éléphants roses, sans user de la moindre substance hallucinogène !
Costumes bigarrés et décors chamarrés expriment les fastes d'un Orient idyllique et exubérant. Bagdad et Bassorah sont deux cités aux charmes envoûtants. Le travail admirable du chef opérateur Georges Périnal, les esquisses picturales de Vincent Korda, ainsi que les décors fabuleux de William Cameron Menzies, y sont évidemment pour beaucoup ! La technique utilisée pour certains décors, le matte painting, ou peinture sur verre, offre des effets de perspective d’une profondeur saisissante. Ajoutez à cela que sont ici réunis les meilleurs spécialistes des effets spéciaux, et vous aurez une petite idée de la qualité et du soin apportés au film. Je ne suis pas du tout d'accord avec certains critiques qui, aujourd'hui, trouvent ces effets spéciaux vieillots et dépassés. Les transparences et incrustations, je les trouve plutôt réussies, et la scène du cheval mécanique effleurant les dômes de la cité exhale une poésie surréaliste et un charme inouï. Mais que voulez-vous, il est de bon ton, à notre époque, de juger à l'aune de nos ordinateurs et des images de synthèse, toujours plus pointues, et de largement sous-estimer le travail artisanal des productions vintages, qui offrent pourtant un spectacle visuel d'une beauté hallucinante.
L'envol féérique du cheval enchanté, planant majestueusement sur les dômes de la cité. |
Producteur hongrois exilé en Grande-Bretagne, Alexander Korda engagea des moyens faramineux pour réaliser cette superproduction britannique. Il avait réussi à créer en Angleterre sa propre société de production, la London Films et ses propres studios à Denham, les plus grands d'Europe. Ce magnat du cinéma a, par son aura, sa culture, son amour de l'art, activement concouru au redressement de l'industrie cinématographique anglaise, écrasée par la concurrence des films hollywoodiens, en réunissant autour de lui, une fine équipe d'artistes, de décorateurs, d'architectes, de compositeurs, de cameramen, d'opérateurs, de techniciens, ayant foi dans l'indépendance du cinéma britannique. Son rôle fut prépondérant dans l'essor de l'industrie cinématographique britannique. Le tournage du film fut agité et interrompu à la déclaration de guerre, en septembre 1939. À ce moment, les studios de Denham furent réquisitionnés pour l'effort de guerre, et les films commandés par le Ministre de l'Information, furent essentiellement des films de propagande. L'industrie cinématographique anglaise était devenue une arme de guerre.
Délocalisé aux États-Unis, le tournage se termina dans les studios de la United Artists. Plusieurs réalisateurs participèrent à l'élaboration du film. Alexander Korda fit appel à Ludwig Berger, réalisateur allemand, mais très vite des dissensions apparurent entre les deux hommes. L. Berger qui voulait un film en noir et blanc, avait l'intention de faire travailler un compatriote allemand pour la partition musicale. Ses méthodes de travail déplurent à A. Korda qui engagea alors Michael Powell et Tim Whelan pour le suppléer, et la partition musicale fut finalement l'œuvre de Miklos Rozca, compatriote hongrois d'Alexander Korda, devenu l'un des plus célèbres compositeurs de musique de films.
Jaffar, ou la puissance magnétique du regard. Conrad Veidt en maître de l'hypnose. |
Ce qu'il y a d'étonnant dans cette superproduction, c'est le manque criant de planification, et la large part d’improvisation dans la mise en œuvre du scénario. À propos du tournage, M. Powell écrivait :
«Quand je pense à la manière dont nous avons tourné ce film, en improvisant l’histoire et l’action, jour après jour, je l’admire et m’émerveille encore.» (Positif, n°478)
Dans le documentaire, Sabu, l'ami des éléphants, l'acteur John Justin racontera que lors du tournage d'une scène avec Sabu dans un souk, ils devaient subitement s'arrêter en pleine action, sans qu'ils en comprennent la raison. En fait, la raison, c'est qu'il n'y avait plus de script ! Il fallait attendre que l'histoire s'écrive ! Il y a, dans ces conditions, de quoi être émerveillé quant au résultat obtenu !
The Thief of Bagdad brasse tous les ingrédients du film d'aventure exotique. Conrad Veidt, au regard magnétique, offre dans le registre du magicien maléfique, une présence scénique impressionnante. Mon Dieu, quel regard hypnotique ! Le jeune Sabu, véritable boule d'énergie, écrase le film de toute sa vivacité et de toute sa malice. En fait, à bien y songer, le véritable héros, c’est lui. Gracieux, agile, naturel, il apporte une allégresse juvénile ô combien rafraîchissante. Sa présence, il la doit bien sûr à ses talents, mais aussi au documentariste et cinéaste Robert Flaherty, qui le repéra en 1936, alors qu'il parcourait l’Inde en quête d'un jeune garçon qui serait le héros de son prochain film, Elephant Boy, basé sur l'une des nouvelles du Livre de la jungle, de Rudyard Kipling. Il tombe alors sur Sabu, jeune cornac de 10 ans, possédant une confiance et une maturité hors du commun, un physique et une musculature plutôt développés pour son âge. Et le plus étonnant, c'était qu'il était doué d'un véritable instinct d'acteur ! Robert Flaherty l’engage sur le champ. Voilà le jeune Sabu quittant déjà son Inde natale pour embarquer jusqu’aux portes du studio de Denham, en Angleterre, où il rencontre pour la première fois Alexander Korda. Ce qui frappe, c’est la simplicité et l’humilité de ce jeune homme fraîchement débarqué. Dans la revue Cinémonde du 7 juillet 1938, à la question de savoir quels étaient ses projets après avoir tourné Elephant Boy, Sabu eut cette réponse laconique, presque lunaire : «Je veux être électricien' dans les studios de M. Korda.» (!) L’avenir lui réservera cependant une tout autre trajectoire. Même si Hollywood ne lui permettra pas d'avoir des rôles de premier plan, ses talents seront souvent mis à profit dans des productions de films exotiques. Michael Powell fera encore appel à lui dans Le Narcisse Noir, en 1947. Entre eux, naîtra une véritable amitié, sincère et durable, jusqu'à la mort prématurée de Sabu, à l'âge de 39 ans.
Abu face à l'araignée géante. Muni d'une épée et de son courage. |
Loin de n'être qu'un divertissement, le film propose une réflexion sur le regard et la thématique de la représentation, à laquelle Michael Powell semble particulièrement sensible. D'emblée, il y a cet œil figurant sur la proue du bateau du magicien Jaffar, un œil démesuré, inquiétant, symbole de sa toute-puissance hypnotique, semblant jeter sur le monde un regard omnipotent et terrifiant. Une manière de dire que l'œil, le regard, constituent les éléments fondateurs, primitifs, par lesquels cette histoire nous parvient. Peut-être aussi, est-ce une façon symbolique de nous faire comprendre que la pratique du cinéma elle-même s'assimile à une forme de voyeurisme. Ainsi, le troisième œil qui permet de tout voir et dont le jeune Abu doit s'emparer, représente-t-il le fantasme absolu pour tout cinéaste, une manière d'entrer par effraction dans l'intimité de chacun. L'œil de la caméra offre la possibilité de tout voir, par-delà les frontières physiques et morales.
L'obsession du regard est une thématique récurrente chez Michael Powell, comme un leitmotiv, elle reviendra constamment à travers ses films. Cette psychose du regard trouve dans la scopophilie une expression artistique, particulièrement féconde et nourricière. Pour reprendre les termes de Raymond Lefevre, qui a écrit avec Roland Lacourbe, 30 ans de Cinéma Britannique, le cinéma est ainsi vu et compris, chez Michael Powell, comme une «prise de possession du monde par le regard». Telle est sa vision du cinéma, et de la vie.
La puissance maléfique du génie, (incarné par l'acteur Rex Ingram), face à la ruse et à l'intelligence du jeune Abu (Sabu). |
The Thief of Bagdad est le film idéal à voir en famille. Djinn, tapis volant, araignée géante, cheval volant, crinière aux vents, enrobent avec bonheur ce conte oriental fantastique et nous offrent un grand moment d’évasion. Le genre de film qui fouette nos idées noires et nous aide à retrouver notre âme d'enfant.
Bonus :
- Un dossier technique plutôt bien fourni sur le film, The Thief of Bagdad. (PDF -15p)
- Télérama du 2 décembre 1998 : Le maître anglais, par Jean-Claude Raspiengeas. (PDF - 2p) Trouvé dans mes archives personnelles, un vieux numéro de Télérama rendant hommage au maître anglais. Arte diffusant ce soir là, une thématique Michael Powell.
- Extrait des revues Écran n°76 et 77, dans lesquelles Michael Powell, interviewé par Roland Lacourbe, revient sur sa filmographie et sa collaboration avec Emeric Pressburger, qui aura été pour Michael Powell bien plus qu'un compagnon de route : un véritable alter ego. ( PDF-19p)
- Une vie dans le cinéma par Michael Powell, une autobiographie traduite de l'anglais par Jean-Pierre Coursodon. (Institut Lumière/Acte Sud 1997) J'ai scanné la très belle préface de Bertrand Tavernier, ainsi que deux autres passages du livre concernant directement la production du film, The Thief of Bagdad : la rencontre de Michael Powell avec Alexander Korda, et le tournage mouvementé du film. (PDF - 20 p)
- Midi-Minuit Fantastique n°20 (octobre 1968) où, pour la première fois, Michael Powell est interviewé par Bertrand Tavernier, pour le compte de la revue Midi-Minuit Fantastique. (PDF - 10p)
- Positif n°532(juin 2005) : parmi les trois articles de fond consacrés à Michael Powell, le témoignage de Martin Scorsese a ma préférence. Il évoque, non sans émotion, comment les films de Michael Powell ont constitué pour l'enfant qu'il a été, une fascinante et envoûtante expérience. (PDF- 10p)
- La revue du cinéma n°251 (juin/juillet 1971) (PDF - p) L'historien du cinéma, Roland Lacourbe, nous présente les grandes lignes thématiques qui parcourent l'œuvre de Michael Powell. C'est une excellente introduction à l'œuvre de Michael Powell, avec en prime, une très belle analyse du film The Thief of Bagdad. (PDF - 19p)
- Anthologie du cinéma : Alexander Korda (PDF- 21p) Peter Cowie signe cette petite biographie d'Alexander Korda, figure légendaire emblématique du cinéma.
- Ciné Kino, cette série documentaire, consacrée au cinéma européen, se propose ici de jeter un regard furtif sur le cinéma britannique. C'est une émission un peu foutraque et fourre-tout, un drôle de mélange hétéroclite, où l'on passe souvent du coq à l'âne. L'emblématique James Bond, prototype du héros impérial, y côtoie ainsi Ken Loach, Stephen Frears, Emeric Pressburger ou Michael Powell ! Une (trop) brève histoire du cinéma anglais, un peu légère, bien trop succincte, mais toujours instructive. (HDTV - Ts - 27 mn - VF )
-Sabu, l'ami des éléphants (Vostfr - Remux DVD -50 mn)
Ce documentaire épatant, riche en anecdotes, interviews, et extraits de films, brosse un portrait attachant du jeune Sabu, mort prématurément d'une crise cardiaque à l'âge de 39 ans. Ce jeune Indien se destinait à suivre les traces de son père en tant que cornac dans l'écurie du Maharadja de Mysore. Mais R. Flaherty le repéra, et sa vie en fut entièrement bouleversée. Avec ses airs de prince indien, il connaît en Angleterre une carrière fulgurante, sous la houlette du producteur, Alexander Korda, avant d'émigrer pour les États-Unis, qui seront finalement son pays adoptif. D'un point de vue artistique, Sabu n'a pourtant jamais pu trouver à Hollywood les premiers rôles qu'il était en droit d'espérer. Figée dans ses préjugés raciaux, l'industrie du cinéma n'a jamais permis aux acteurs d'origine asiatique, de tenir le haut de l'affiche. Sabu, de par ses origines, fut malheureusement cantonné à des rôles secondaires, dans des films exotiques. Il restera, dans l'esprit du public, celui qui fut avant tout, l'ami des éléphants.
- Cinémonde n°507 (juillet 1938) nous emmène faire la connaissance de Sabu, qui a su très vite devenir en Angleterre un parfait gentleman. (PDF -1p)
- Quand Churchill fait son cinéma. (HDTV -Ts - 58 mn)
Plus que les coronas et les cigares, Alexander Korda et Winston Churchill partageaient une indéfectible amitié, qui a pour une large part scellé l'essor de l'industrie cinématographique britannique. Passionné par les films historiques, Winston Churchill était un cinéphile averti, et en tant que politicien et homme d'État, avait parfaitement pressenti le rôle capital, fondamental, alloué au 7eme Art pendant la guerre. Il avait bien sûr compris que le cinéma, simple objet de divertissement, pouvait se transformer en une arme de propagande redoutablement efficace, et modeler les consciences. Durant le deuxième conflit mondial, l'industrie du cinéma anglais est ainsi devenue le fer de lance d'une guerre idéologique, un instrument de propagande, capable d'influencer les masses et de transformer les opinions. Le voyage d'Alexander Korda aux États-Unis en 1940, où il tourna Lady Hamilton, a ainsi servi les desseins de Churchill, qui avait pour ambition de retourner l'opinion publique américaine, très largement isolationniste et rétive à entrer en guerre, et d'établir un rapprochement entre Anglais et Américains, en vue d'obliger ces derniers à entrer en guerre contre l'Allemagne.
In fine, le documentaire de John Flet brosse un portrait cinématographique éclairé et finalement peu connu du charismatique Sir Winston Churchill.
Kermite.
Liens :
Film : 22,6 Go Remux Bluray (VO +STFR) :
https://1fichier.com/?kk5qpfnk75zhgcfx5b1a
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Bonus : 5,3 Go
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