Rien ne sert de courir, il faut partir à point, disait un certain Jean de La Fontaine. Et en effet, à quoi bon courir ? Plus proche de nous, Jean-Louis Fournier constatait, fataliste, qu’entre le moment où l’homme fait ses premiers pas dans un youpala et celui où il termine son existence avec un déambulateur pour se déplacer, l'homme ne fait que courir… à sa perte ! ¹
Car nous courons tous, c’est une évidence ! Après le temps, les filles, l'argent, que sais-je encore. Comme si, dans nos sociétés modernes, la course devenait le moteur d’une obnubilation jamais assouvie, l’épicentre d’une obsession collective. Mais la course, la vraie, celle à laquelle s'adonnent de plus en plus d'adeptes et qui explose aujourd’hui, n’échappe pas à cette interrogation existentielle. Car, au fond, qu’est-ce qui nous fait courir ? Quelles sont les raisons, les motivations secrètes, inconscientes, qui poussent toujours plus d’adeptes à la course ? Quelle est donc cette drogue qui met sous son emprise tant de runners et les pousse à fouler le bitume et les sentiers forestiers dans une fiévreuse addiction ? En somme, pour dire les choses trivialement : pourquoi courons-nous, au juste ?
Nous avons sans doute hérité de nos lointains ancêtres cette prédisposition génétique à l'endurance. C’est indéniable. Grâce à cet avantage physiologique que conférait la transpiration, ils ont pu développer cette faculté en poursuivant et en traquant inlassablement leurs proies sur de longues distances.
Aujourd'hui, l'endurance poursuit d'autres buts. Si certains espèrent simplement garder la ligne et rester en forme, d'autres, plus exigeants, plus ambitieux, ne s'épanouissent qu’à travers la compétition et des entraînements intensifs. Le dépassement de soi, source de joie intérieure, est une excellente motivation et nous apporte une assurance, une force, une sérénité dans la vie. Elle fait naître en nous une volonté insoupçonnable, nous amenant à réaliser des défis toujours plus grands. Comme l'écrit Marion Roman dans un livre où les ressorts psychologiques et métaphysiques du coureur sont mis à nu : « On court pour développer sa combativité, sa confiance en soi, sa volonté, sa concentration. Pour devenir meilleur. » ²
Et donner le meilleur de soi-même.
« Le sport, écrivait le dramaturge Jean Giraudoux, consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme : l’énergie, la patience, l’audace. » ³ Voilà qui cerne déjà un peu mieux les vertus morales et physiques de la course à pied. Courir peut prendre la saveur d’une quête spirituelle, d’un pèlerinage. Une façon de s’ouvrir aux autres, d’être en osmose avec la Nature, de se fondre en elle pour mieux en apprécier les secrets. La course est vécue comme un accomplissement dans son acception la plus noble. Mais de façon plus prosaïque, elle nous incite à être à l'écoute de notre corps et nous donne la possibilité de découvrir mille sensations. Courir pour s'enivrer. Courir pour mieux s'oublier.
« Le coureur, écrit Nathalie Goose, ne sent plus ses mains, ses pieds, son corps, tel un fantôme. Il a presque oublié qu’il court, il est trop occupé. Il court sans se rendre compte qu’il court. Il est impliqué dans son rite aux vertus universelles de ténacité et de dépassement de soi. » ⁴ Dans un livre où transpire une sensualité de l’effort, cette professeure d’éducation physique et traileuse passionnée nous emmène sur ses sentiers intérieurs, ceux à travers lesquels la passion du running prend tout son sens. Expérience intime et personnelle qui donne toute sa valeur à l’acte de courir et lui confère ses pouvoirs gratifiants. Courir n’équivaut pas seulement à être en mouvement, à reproduire une simple et belle mécanique du corps. Courir, c'est exister. Je cours, donc je vis. Adage intemporel qui nourrit le sentiment que l'acte de courir nous rends furieusement vivants.
Ces bribes d’impressions et de réflexions posées m'amènent à penser qu’il y a, tout compte fait, autant de bonnes raisons de courir qu’il y a de coureurs. Personnellement, m'interroger sur les raisons pour lesquelles je cours m‘oblige à faire un voyage dans le passé, quand, pour la première fois, je me suis découvert des qualités pour l’endurance à l'école primaire. C’est de là que tout a commencé. Moi qui ai toujours été un élève médiocre et sans talents particuliers, je me trouvais, grâce à la course, soudain projeté sous les feux de la rampe, posté sur les devants de la scène, comme le premier de la classe. J’en étais à la fois étonné et fier. Oh, je n'étais certes pas LA pépite que les recruteurs cherchaient à s’arracher et mon niveau n’atteignait pas des hauteurs stratosphériques, mais le cross et la compétition interclasse me permettaient d’exprimer un potentiel prometteur et de briller sportivement. Le bruit des pointes sur le macadam résonne encore à mes oreilles…
Me revient en mémoire une course mémorable. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais encore au lycée et le prof de sport nous avait imposé une première course pour la saison, histoire de voir ce qu’on avait dans le ventre et jauger notre niveau. C'était un 1000 mètres. Et cette course était l’occasion pour moi de m'affirmer pleinement. J’ai donc abordé le premier tour de piste, pied au plancher. Une fusée. Enfin, rien d’anormal pour moi. Le 1000 mètres est un long sprint, et j’ai toujours pris l’habitude de démarrer à bloc. Mes camarades ne s’attendaient pas à ce qu’un pékin dans mon style se paye le luxe d’un démarrage en trombe. C’est qui le rigolo qui se la joue Carl Lewis ? Attendez un peu, il va exploser en plein vol. J'entendais une salve de sarcasmes me cingler les oreilles. La chasse au lièvre est officiellement ouverte. Dixit le chef des poursuivants. L’effet de surprise aidant, j’ai filé les deux tours à toute berzingue. Hélas, bien trop vite. Je subis le contrecoup de mon départ tonitruant comme une massue. Mes jambes se firent soudain atrocement lourdes et la piste se métamorphosa en sables mouvants. Chaque foulée me tirait un peu plus vers les entrailles de la terre ! Ce fut un effroyable calvaire. Une torture. Le pire tour de piste de toute ma vie ! J'avais présumé de mes forces en partant comme un bolide, et maintenant, le souffle court, tétanisé par la douleur et mes jambes de fer, je luttais, au bord de la rupture, pour ne pas sombrer, pour ne pas m'écrouler. Je luttais comme un forcené pour boucler ce tour qui n'en finissait plus, et quand ce fut enfin fait, j'avais, je crois, sauvé l'essentiel : j'étais toujours seul en tête !
Après ce coup de massue monumental, je réussis à puiser un peu d'énergie pour me relancer. Peu à peu, j'ai senti que le plus dur était passé et que j’avais tenu bon mentalement. L’avant-dernier tour fut une résurrection. Profitant d’un second souffle, je me suis repris en main en accélérant progressivement. Un miracle. Encouragé par mon prof de sport qui avait résolument pris mon parti et qui, chrono en main, hurlait mon nom comme un damné, je suis revenu à la vie. Sans doute, sentait-il que la meute était pratiquement prête à fondre sur moi pour envoyer aux oubliettes mon escapade solitaire. Le courageux bougre que j'étais allait-il se faire croquer tout cru sur le fil, juste avant la ligne d’arrivée ? Combien de courses se sont ainsi perdues dans la désillusion ? Je me foutais royalement de ce qui se tramait derrière moi. Inutile de se retourner pour évaluer d'un coup d'œil la distance qui me séparait des poursuivants. Mais je sentais malgré tout derrière mon dos, comme le souffle d'une armée de guerriers prêts à arracher mon scalp et à ramener cet excentrique plein de morgue, d’orgueil et de culot à sa juste place.
Je n’oublierai jamais ce dernier tour. Je l’ai couru avec les tripes. Broyé par l’effort, j’ai continué à mettre un pied devant l’autre comme si toute ma vie en dépendait. Ma seule obsession : ré-sis-ter. Ne pas flancher. Continuer inlassablement à engranger les mètres. Ne pas me retourner. J’entendais les encouragements de mon prof qui me parvenaient comme une bouffée d'oxygène. Je tenais bon. Personne n'avait réussi à filer mon train jusqu’à maintenant. J'avais fait cette course seul comme un fou furieux et je voyais, enfin, se profiler la dernière ligne droite. Le bout du tunnel. Le sésame ! Une dernière accélération, et, à bout de forces, je franchis, victorieux, cette ligne d'arrivée tant désirée. Je me suis aussitôt écroulé. Allongé par terre à demi conscient sur la piste, j’ai pu voir, quelques secondes après, mes assaillants la franchir à leur tour. J'étais fier, j’avais réussi mon pari : le lièvre avait terrassé une palanquée de chasseurs qui voulaient sa peau !
Curieusement, après ce fait d'armes encourageant, je n'ai jamais senti le besoin de m'affilier à un club d'athlétisme, préférant alors m'éclater à la baballe sur un terrain de foot plutôt que de subir d'austères séances d'endurance sur une piste… Mais aujourd’hui, à 54 ans, poussé par un papa septuagénaire aguerri aux courses, je me suis lancé dans le running avec l'idée de me perfectionner. Pas nécessairement dans l’optique d’aller toujours plus vite (même si je rêve en secret d'accrocher de nouveau le 1000 mètres en 3 minutes !) et de courir des distances de plus en plus longues. Mais plutôt d'intégrer la pratique du running dans un art de vivre qui associe intimement bien-être et goût de l'effort.
Au fond, les raisons qui me poussent à courir ne s'enracinent pas seulement dans le besoin viscéral de dépasser mes limites, d'aller au-delà de ce que je suis capable de faire. Je crois qu'elles puisent leurs racines dans mon enfance. Je cours, non seulement pour ce sentiment de liberté qui accompagne chacun de mes entraînements, mais parce que j'éprouve le besoin de retrouver et de réveiller certaines sensations, de renouer avec mon enfance où, pour la première fois, je me suis révélé à travers la course. Pour moi, point de communion et d’union mystique avec la Nature, plutôt un retour aux sources. Alors, entre le footing du dimanche et les mythiques séances d'interval training de 100 x 400 m de Zatopek, l’éventail est plutôt large pour envisager et pratiquer la course à pied ! L'essentiel est de trouver sa place.
Évidemment, il m’est impossible de lever le voile sur les motivations des coureurs sans évoquer mes héros, les vrais, ceux qui m'inspirent et auxquels je voue la plus grande admiration. Parmi les sportifs qui ont essaimé les pistes d'athlétisme, deux légendes se détachent et incarnent le mieux, à mon sens, toute la noblesse et l’exigence de la course. Deux mythes vivants qui, à travers des styles diamétralement différents, donnent tout son sens au mot courir. Ils expriment, l’un pour la course de fond, l'autre pour la vitesse pure, la quintessence de ce que la course représente. Je veux parler d’Emil Zatopek et de Jesse Owens.
Animé par une volonté hors norme, le coureur tchèque me fascine par sa force de caractère et son acharnement au travail. Zatopek est un stakhanoviste de l’endurance qui a toujours cherché à expérimenter et à varier ses entraînements pour améliorer ses performances, avec à la clef, des séances d'interval training dignes des travaux d'Hercule ! Comment concevoir autrement ces 100 x 400 mètres engloutis en une journée ! Des entraînements surhumains qui font dire à certaines mauvaises langues que la quantité ne fait pas la qualité…
Question style, oubliez l'élégance du coureur. Zatopek est un coureur atypique. Le voir en action ne servira pas de modèle aux futures générations de coureurs qui veulent parfaire leur style… Si courir, c'est souffrir, alors Zatopek incarne le mieux l'athlète en souffrance. C’est un pantin désarticulé et disgracieux. Ses dodelinements de la tête fendent l’air comme les battements réguliers d’un métronome. La langue pendue semble à la recherche éperdue d’un second souffle, alors qu’un effroyable rictus déforme et déchire son visage. Zatopek semble repousser les limites de la souffrance en imposant à son corps un calvaire infernal. Il est aux antipodes de l'athlète gracieux. Zatopek, c’est la souffrance faite chair. Mais quelle efficacité ! Ses jambes martèlent la piste avec une énergie et une voracité diabolique !
Aux Jeux d'Helsinki, en 1952, il y a cette finale du 5 000 mètres d'anthologie, sans doute l’une des plus belles à mon goût. Alors qu'on croyait que Zatopek allait finir par user ses adversaires et facilement s’imposer, le dernier tour de piste offre aux yeux des 70 000 spectateurs une lutte épique, un époustouflant feu d’artifice. À 300 mètres de l'arrivée, l’Allemand Shade et l’Anglais Chataway depassent le Tchèque dans une accélération foudroyante, suivis par le Français Alain Mimoun, qui prend le train en marche. Ils forment alors un trio de tête à l’amorce du virage final. Zatopek, légèrement distancé, est à la peine. Il semble au plus mal et tout près d'être lâché. Mais la marque des grands champions n’est-elle pas de trouver les ressources pour surmonter l'impossible ? Alors qu’on le croyait perdu, il s’accroche, mais pas avec l'énergie du désespoir. Il trouve la force de revenir progressivement, finit par doubler Mimoun dans le virage, par l'extérieur, avant de placer, dans les derniers deux cents mètres, une prodigieuse accélération qui met tous ses adversaires KO !
Et que dire de cette finale hallucinante du 10 000 mètres de ces mêmes Jeux, dominée par la puissance et la vélocité du coureur tchèque ? Même le Français Alain Mimoun, qui accrochera la deuxième place, ne pourra jamais revenir à sa hauteur. Zatopek avale les derniers tours de piste à une allure sidérante, doublant les retardataires dans une aisance déconcertante. Ces derniers, étrangement léthargiques, ont l'air de faire leur footing, mais pas de courir une finale des JO ! Après neuf kilomètres dans les jambes à une allure complètement folle, le grand Emil trouve encore l'énergie de boucler le dernier kilomètre en 2'45 s ! Monstrueux. Accroché à ses basques, le Français Alain Mimoun ne pouvait décidément rien contre cette locomotive déchaînée.
Aux antipodes de Zatopek, Jesse Owens me fascine par la pureté et la beauté de son style. Dieu du ciel, quelle élégance ! Une harmonie et un équilibre parfaits. Une maîtrise technique de toute beauté acquise patiemment et qui éclate aux yeux du monde en apothéose lors de cette finale de rêve, immortalisée par les caméras de Leni Riefenstahl, le 3 août 1936. 100 mètres et dix secondes de perfection et de grâce.
Le succès, Jesse Owens ne le doit pas seulement à son talent, mais aussi à ses deux entraîneurs, Larry Snyder et Charles Riley, qui l’ont formé et soutenu. Celui-ci repère très tôt le jeune Jesse, à l'école primaire, alors qu'il passe son temps à courir pendant les récréations. Ses irrésistibles accélérations et son aisance naturelle subjuguent immédiatement Charles Riley, qui le prend sous son aile. Il constate, éberlué, qu'à l'âge de 14 ans, il court le 100 yards en 11 secondes ! Avec un tel potentiel, la route est déjà tracée par avance ! Charles Riley met tout en œuvre pour faire fructifier cette graine de champion en lui transmettant son savoir technique. Entre le vieux coach d’origine irlandaise et son jeune poulain se noue une relation de confiance et d’estime qui s’étoffe et s’enrichit au fil des années. Plus qu’un entraîneur, il sera pour lui son mentor et père spirituel.
C’est Charles Riley qui, en ces années de misère et de chômage marquées par la Grande Dépression, prend humainement soin de son jeune protégé, malingre et souffreteux. Le père de Jesse, alors au chômage, a le plus grand mal à nourrir sa famille. Pour Charles Riley, la question est cruciale : comment un athlète peut-il prétendre à l'excellence s’il ne mange pas à sa fin ? Mais au-delà de son lien affectif, ce sont surtout ses conseils avisés qui vont affiner et parfaire le style de Jesse Owens. Il l'emmène sur les champs de course, dans le but d'observer attentivement les chevaux et leur façon de galoper. Il lui explique pourquoi il doit courir comme un pur-sang : « Un cheval ne joue pas la comédie. Il ne prétend pas gagner : il gagne. Il ne regarde pas sur les côtés, ne surveille pas ses arrières, ne cherche pas à rabaisser l'autre. Tout paraît facile, même si ça n'est pas le cas. » ⁵
La clef du succès réside dans le relâchement. L’époque est désormais révolue où les coureurs sprintaient comme s’ils avaient le diable à leurs trousses ! Courir comme un pur-sang exige de courir parfaitement relâché et détendu, sans l’once d’une crispation. D’être en lévitation. De manifester une légèreté et une fluidité naturelle, instinctive. Comme son coach le lui avait enseigné, Jesse Owens martelait la piste de sa foulée leste et véloce en donnant l'impression de courir sur des charbons ardents. Certains journalistes sportifs l'affirmaient sans ambages : Jesse Owens ne court pas, il vole.
Tout comme Zatopek, Jesse Owens ne manque pas de caractère, lui aussi. Il en faut pour s’entraîner à cinq heures du matin avant d’aller exercer ses boulots de pompiste et autres petits métiers pour nourrir sa famille. Mais ce que j’apprécie peut-être par-dessus tout chez Jesse Owens, c’est son caractère, son affabilité, son humilité. Loin, très loin des démonstrations d’égo dont les athlètes abusent aujourd’hui. Aux JO de Berlin en 1936, à la finale du 100 m, il est allé par courtoisie serrer la main de chacun de ses adversaires ! Imagine-t-on aujourd'hui Usain Bolt en faire autant ? L'épreuve reine du 100 mètres est de nos jours devenue un spectacle survitaminé, un show gonflé aux testostérones, où chaque athlète, par son attitude, ses gimmicks et ses provocations, fait étalage de sa puissance et de ses prétentions à la victoire.
Malheureusement, Jesse Owens n'a pas eu la carrière qu’il aurait méritée. À son retour au pays, après les JO de 1936, il fut délibérément snobé par le président américain Franklin Roosevelt pour des raisons bassement électorales. Même pas un télégramme de félicitations envoyé au quadruple médaillé d’or olympique ! Inimaginable… Alors, pour l’invitation à la Maison-Blanche, il ne fallait certainement pas y songer… Ce qui est inconcevable aujourd’hui ne l’était pas en 1936, dans une Amérique marquée au fer rouge par la ségrégation raciale. Jesse Owens avouera lui-même avoir reçu plus de considération et d’égards de la part d’Hitler que de son propre président. Même s’il fut accueilli comme un héros dans son pays, Jesse Owens a vite compris que la place réservée aux Afro-Américains dans la société américaine resterait toujours la même, et que la sienne se trouvait toujours au fond du bus. Il a fallu attendre 1976 pour que le président Gerald Ford le réhabilite et le reçoive enfin à la Maison-Blanche. Soit 40 ans après. Jesse Owens a alors 63 ans.
Mais au-delà de la reconnaissance qu'il n'a pas eue, c’est toute la carrière de Jesse Owens qui fut stoppée net au lendemain des JO. Il fut sanctionné pour avoir refusé de respecter à leur terme des courses d’exhibitions à travers l’Europe, organisées dans des conditions déplorables. Elles avaient surtout pour but de se servir du prestige des athlètes pour renflouer les caisses de l’AAU (l’Amateur Athletic Union). Jesse Owens, éreinté, jeta l’éponge et fut immédiatement et définitivement banni du monde de l'athlétisme. Radié à vie par l’inflexible et sectaire Avery Brundage, président du comité olympique américain. Si cette décision faucha sa carrière sportive dans son envol, il n’empêche que Jesse Owens reste à ce jour un des athlètes les plus talentueux. Son aura perdure par-delà les siècles et ne s'est jamais dissipée. Celui qui cherchait « de nouveaux horizons juste par la force de [ses] pieds et le courage de [ses] poumons » ⁶ reste pour beaucoup un modèle et une source d'inspiration. Carl Lewis en fut sans doute le plus auguste et emblématique héritier.
Voilà qui m’amène au terme de mon voyage. J’ai essayé de mettre en lumière certaines motivations qui orientent les adeptes du running. Sans avoir la prétention d'en établir une liste exhaustive. À la question initiale, celle de savoir pourquoi nous courons, l'athlète américain Jeff Galloway apporte peut-être la meilleure des réponses dans son livre Jogging et course de fond. ⁷ Il donne l'exemple de son papa qui, lorsqu'il s'est mis pour la première fois à la course à pied, à 52 ans, fut incapable de courir plus de 100 mètres. Pesant près de 100 kg, cet ancien joueur de football américain fut surpris de constater que trente années d’inactivité l’avaient rendu inapte à l’endurance. Mais en alternant la marche et la course, il parvient à rallonger peu à peu les distances et à courir de plus en plus longtemps. 2 km, puis 5, puis 10 km. À force de patience, de persévérance, de discipline et d'abnégation, il réussit à améliorer prodigieusement son endurance. Au point de courir, pour son 59ème anniversaire, le « Callaway Gardens Marathon » en 2 h 59 min ! Sacrée performance ! Voilà, peut-être, la meilleure des réponses. Elle illustre, de la façon la plus personnelle et intuitive qui soit, ce que la course représente avant tout : une victoire sur nous-mêmes !
1. Jean-Louis Fournier : Mon dernier cheveu noir Avec quelques conseils aux anciens jeunes. Édition Anne-Carrière, 2006, p. 181.
« Avec le youpala
l'homme fait ses premiers pas,
avec le déambulateur
ses derniers pas, entre les deux
il court à sa perte.»
2. Marion Roman : Aimer courir : une passion à partager Édition Maxima,2012, p. 121.
3. Cités par Robert Parienté et Alain Billouin dans La fabuleuse Histoire de l'Athlétisme. Éditions Minerva,2003, p. 38.
4. Nathalie Goosse : Courir, les sentiers intérieurs. Éditions l’Harmattan, 2017, p. 133.
5. Citée par Maryse Éwanjé-Épée dans La fabuleuse Histoire de Jesse Owens. José-arlin/Jacques-Marie Laffont Éditions, 2016, p. 64.
6. Jesse Owens et Paul Neimark : Jesse. Autobiographie spirituelle. Éditions Jacques-Marie Laffont, 2016, p. 61.
7. Jeff Galloway : Jogging et course de fond - Conseils et programme d'entrainement. Éditions Amphora, 1986, p. 231.
Les extraits vidéos sont issus, pour la finale du 5 000 m à Helsinki, du documentaire l'Odyssée des Jeux Olympique de Jean-Christophe Rosé, réalisé en 2024. Pour la finale du 10 000 m, du documentaire Regard neuf sur Olympia de Julien Faraut en 2013.
Quant à la finale du 100 m des JO de Berlin en 1936, elle est extrait du film de Leni Riefenstahl, Olympia (part I, 1938) sorti en Blu-ray dans la collection Criterion, 100 Years of Olympic Films.
Documentaire :
La course à pied, pourquoi courir ? Réalisé par Jean-Baptiste Martin et écrit par Marie Mitterrand, 53 mn, DVD Remux.
Pour qui veut découvrir la course à pied, ses méthodes d'entraînement, son jargon technique... Une initiation didactique pas du tout rébarbative.
Kermite.
Lien :
https://1fichier.com/?mvb6thxppj2hc534nvp3